Bien sûr, le Festival de Verbier peut s’enorgueillir de recevoir dans ses montagnes valaisannes les plus grandes stars : Lisa Batiashvili, Nicola Benedetti, Janine Jansen, Joshua Bell, Renaud Capuçon, Augustin Hadelich, Daniel Hope, Leonidas Kavakos, Daniel Lozakovitch, Vadim Repin parmi les violonistes, Maria João Pires, Yuja Wang, Yefim Bronfman, Seong-Chin Cho, Lucas Debargue, Alexandre Kantorow, Evgeny Kissin, Mikhaïl Pletnev, Daniil Trifonov parmi les pianistes. Le reste de l’affiche est à l’avenant. De quoi avoir le tournis. Et confondre Verbier avec Cannes ou Saint-Tropez.
Les vedettes sont certes bien présentes et attirent le public mais elles ne constituent qu’un des pôles du festival ; l’autre s’organise autour de dizaines de jeunes artistes venus du monde entier, dûment sélectionnés, et distribués, selon leur âge, parmi les trois orchestres du festival. Sous la houlette de chef de l’envergure de Zubin Mehta, Daniele Gatti, Kent Nagano, James Gaffigan, Klaus Mäkelä ou Lahav Shani, ils présentent des programmes symphoniques auxquels participent quelques-uns des solistes sus-cités. Cette étape se montre fondamentale dans le parcours de ces instrumentistes qui intégreront par la suite les rangs des meilleurs orchestres. À chaque concert, ces artistes en devenir impressionnent par l’intensité de leur engagement, leur enthousiasme et leur très haut niveau.

Daniel Hope
Crédit photo : Nicolas Brodard
Le Requiem de Verdi, dirigé par Daniele Gatti l’a confirmé. Le chef italien impose une lecture à la fois intériorisée, fervente et très narrative de cette œuvre ambivalente qui exalte la mort en célébrant la vie. Le soin apporté aux nuances et aux contrastes, du plus imperceptible pianissimo (les cordes avec sourdine au tout début) au plus fracassant fortissimo (le saisissant Dies irae dans lequel timbales et grosse caisse rivalisent de pugnacité), la netteté de la mise en place, la justesse des plans sonores (trompettes spatialisées), la beauté des interventions solistes (flûte, clarinette, basson) et collectives (des cuivres avec le souffle d’un orgue et la netteté d’articulation d’un piano) ont mis en lumière l’excellence du Verbier Festival Orchestra.

Daniele Gatti
Crédit photo : Agnieszka Biolik
Le Chœur de l’Académie nationale de Sainte-Cécile, agile (« Sanctus ») et prodigue de couleurs, n’était pas en reste, pas plus qu’un quatuor de haut rang : Lise Davidsen, Yulia Matochkina, Freddie De Tommaso, Bryn Terfel. Si le dernier ne peut dissimuler une densité vocale en berne, il sait comment donner vie aux mots (« Mors stupebit »). La première, par sa puissance, son intelligence dramatique supérieure et ses aigus projetés comme une prière farouche, laisse un « Libera me » saisissant. Yulia Matochkina, timbre de velours sombre, et Freddie De Tommaso, voix de lumière mordorée, offrent respectivement un « Liber scriptus » et un « Ingemisco » douloureux mais sobres, concentrés et émouvants. Guidés avec une fière assurance et une force de conviction à soulever des montagnes par Daniele Gatti, solistes, chœur et orchestre ont embarqué le public de la salle des Combins dans un voyage mémorable entre église et théâtre.

Crédit photo : Evgenii Evtiukhov
Changement radical d’ambiance, le lendemain, au même endroit, avec le Verbier Festival Chamber Orchestra sous la conduite de son chef attitré Gábor Takács-Nagy, autrefois premier violon du Quatuor Takács. La création suisse de Weathered, concerto pour clarinette de la Britannique Anna Clyne, fait découvrir une musique flatteuse et accessible, qui cherche à traduire en sons cinq éléments patinés, voire érodés (traduction du titre), le dernier étant la terre. Martin Fröst y fait montre de sa virtuosité coutumière et retient l’attention de l’auditeur.
Moins démonstratifs parce que la musique ne le demande pas, Janine Jansen et Amihai Grosz réussissent une Symphonie concertante de Mozart aussi alerte que lyrique, la violoniste néerlandaise se distinguant par ses phrasés aussi tenus que souples, aussi expressifs que finement dosés, le vibrato maîtrisé et le sourire dans le son.
Crédit photos : Evgenii Evtiukhov
En seconde partie, Gábor Takács-Nagy rappelle qu’une symphonie de Brahms, en l’occurrence la troisième, avec un orchestre de chambre, c’est possible ! Deux contrebasses, quatre violoncelles et cinq altos permettent en effet un bel équilibre entre cordes et vents, une limpidité inhabituelle mais si convaincante de la polyphonie. Le geste vif mais ductile, l’énergie jaillissante et communicative du chef hongrois dessinent un Brahms jamais pesant dans le tumulte (finale), ni alangui (Poco allegretto) mais d’une rare spontanéité. À nouveau, l’orchestre séduit par son implication de tous les instants, sa réactivité, sa volonté. Pour un peu, on oublierait les stars.
Festival de Verbier, Suisse, les 17 et 18 juillet
Crédit photos : Evgenii Evtiukhov
Pour en savoir plus : consulter le site du Verbier Festival.