À la Mecque du piano, nous sommes en liberté surveillée : plus de masque, mais pas d’entracte… Inch Allah !

En mettant en miroir les 24 Préludes de Scriabine et les 24 Préludes de Chopin, Mikhaïl Pletnev fuit toute tentation narcissique. Du reste, ne décline-t-il pas avec humour les sollicitations du photographe du festival : « Je ne suis pas Marilyn. » Solo la musica. Sur son excellent Shigeru Kawaï attitré, qui lui offre une palette de timbres aventureuse, il aborde les deux œuvres en compositeur plus qu’en interprète. Chaque prélude de Scriabine est taillé comme un diamant, dans un son minéral, clair, décanté, jusqu’à l’obtention d’un composé unique de clairs-obscurs. Sitôt que les cigales cessent leur obsédant crin-crin, la magie opère à plein. La semi-obscurité (à la Richter) participe à l’envoûtement. Ainsi préparé, l’auditeur accepte tout. Et de fait, Pletnev ose l’impossible dans les Préludes de Chopin. Rythmes déstructurés, dynamiques modifiées, rubatos quasi improvisés. L’œuvre est réinventée de l’intérieur et l’on assiste, fascinés, à cette métamorphose.

Le lendemain, Lukas Geniušas est tout aussi personnel sur piano Bechstein, mais la magie n’opère pas. Quatre Impromptus op. 90 de Schubert secs et sans charme, puis une Sonate de Liszt construite, polyphonique, mais sans la beauté du diable. Si les moyens sont là, la présence fait défaut. Question de répertoire sans doute.

Crédit photo : Pierre Morales

Samedi soir, Mao Fujita (photo) est comme un ange tombé du ciel. Mi-enfant, mi-vieux-sage, il caresse le clavier comme des ailes de papillon sur des fleurs. Des Chopin murmurés jusqu’à l’extase, un Brahms (sextuor) à la basse chantée, une Sonate n° 2 de Schumann, tel un feu follet, et des Mozart miraculeux en bis. Le public tombe fou amoureux de cette apparition.

Avec Benjamin Grosvenor, c’est le retour du grand piano flamboyant. Piano Bechstein pour Franck et Albeniz et Fazioli plus sombre pour Ginastera et Ravel. Tiens, pas un seul concert avec Steinway. Serait-ce la fin d’un règne ?

Du jeudi 28 au dimanche 31 juillet, Parc Florans, La Roque d’Anthéron.