Sleepless d’Eötvös, Genève, Grand Théâtre, le 29 mars.
Pour son treizième opéra, Peter Eötvös s’aventure dans les frimas du grand Nord. Bien qu’adaptant une trilogie saumâtre de Jon Fosse, il élabore une œuvre raffinée et évanescente dotée d’une expressivité ciselée évoquant Britten. Le livret de son épouse Mari Mezei, en douze scènes utilisant chacune les douze demi-tons de l’échelle chromatique, dévoile la dérive du jeune Asle – le ténor Linard Vrielink, émission claire pour un personnage âpre et meurtrier – et de sa petite amie enceinte Alida – la soprano Victoria Randem toute en sensibilité.
Le couple, réfugié dans un sordide village portuaire, va affronter une faune de marins ivres, d’où surnage un charismatique homme en noir, incarné par le timbre sombre de Tómas Tómasson, flanqué de sa fille, la soprano Sarah Defrise singeant les artifices de la vulgarité. Décor unique, un poisson sur une tournette, aux écailles s’ouvrant sur les habitations désolées, permet au metteur en scène Kornél Mundruczó d’exprimer un naturalisme polaire qu’un épilogue romantique va transfigurer.
À la tête de l’Orchestre de la Suisse Romande, Peter Eötvös infuse couleurs et subtilité à son « opéra-ballade » dont la plasticité sonore très figurative épouse tous les méandres de cette descente aux enfers.

Crédit photo : Magali Dougados