Le pianiste Gabriel Tacchino, disciple de Francis Poulenc mais également professeur généreux et dévoué, s’est éteint à l’âge de 88 ans.

Gabriel Tacchino
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Il était à part. D’abord par sa naissance (en 1934). Naît-on à Cannes quand ont est appelé à devenir l’un des meilleurs pianistes de sa génération ? Ensuite par ses dons. Une facilité époustouflante, des doigts d’acier, une sonorité dorée qui lui ont permis de jouer avec brio un répertoire virtuose comme les cinq concertos de Prokofiev. Et que dire de son Mozart sinon qu’il avait la grâce absolue et le cœur pur ?
Donc un musicien complet. L’un des meilleurs que nous ayons eus. Et certainement l’un des plus gentils de sa profession. Sans cette modestie, cette générosité et cette simplicité qui l’animaient, sa carrière aurait été plus tapageuse. Rarement on aura croisé pianiste plus doué et plus inquiet de nature, plus scrupuleux jusqu’à l’angoisse de respecter le texte. Pas facile d’exister entre Samson François et Weissenberg, surtout quand la musique, le football, l’amitié et l’amour le mobilisent davantage que l’envie se faire une place au soleil… lui qui a grandi en allant tous les jours à la plage.
La rencontre avec Francis Poulenc
Fils d’un tailleur, violoniste amateur italien, Gabriel Tacchino s’est distingué au conservatoire de Nice avant de monter à Paris avec sa mère et d’entrer dans la classe de Jacques Février. Son goût du sport lui fait remporter plusieurs prix à des concours : Long-Thibaud, Viotti, Busoni, Genève, Naples… Les engagements pleuvent.
Un jour de décembre 1956, alors qu’il vient de jouer le Concerto n° 3 de Prokofiev à l’Opéra Garnier de Monaco, il a la surprise de voir arriver Francis Poulenc. Le compositeur des Biches le prend en amitié et lui confie plusieurs secrets lors de ses séjours prolongés à l’Hôtel Majestic de Cannes. Notamment sa détestation du jeu maniéré dont on affuble sa musique et son goût pour les harmonies un peu sales obtenues par des pédales longues. Gabriel Tacchino va enregistrer l’œuvre du compositeur dont il reste l’unique disciple. « Une musique simple, pleine de tact, d’élégance, d’esprit, une musique raffinée et solidement charpentée », écrira-t-il dans sa maison de Saint-Laurent-du-Var.
Une carrière internationale
Grâce à Poulenc, qu’il fréquentera jusqu’à sa mort en 1963, Gabriel Tacchino va rencontrer Horowitz, son idole avec Rubinstein. Sur recommandation de Michel Glotz, il va jouer pour Karajan qui répète à la Scala de Milan. Le chef d’orchestre promet de l’écouter dix minutes. Après l’avoir laissé patienter trois jours, il le gardera deux heures. Et l’invitera à l’Orchestre philharmonique de Berlin.
Gabriel Tacchino invitera ses nombreux amis aux Nuits musicales du Suquet, « l’autre Festival de Cannes » qu’il va diriger durant trente-cinq ans avant d’en être exclu sans ménagement… Stern, Rostropovitch, Rampal, Entremont, Fontanarosa, Rigutto, Engerer, Collard et bien d’autres en ont été quelques-unes des étoiles sous le ciel de sa chère Méditerranée. Il sera également un professeur attentif et généreux, dévoué à ses élèves, scrupuleux toujours.
Luttant contre la maladie, il s’est éteint à 88 ans ; autant de printemps que de notes sur un piano de concert. Par cette délicieuse coïncidence, il rappelle avec une élégante discrétion qu’il est resté un artisan perfectionniste et un amoureux de son art jusqu’à son dernier souffle.