Nous avons vu « The Father », film deux fois primé aux Bafta le 11 avril, de Florian Zeller. La musique tient depuis toujours un rôle singulier dans sa vie.

Connu sur les planches du théâtre Hébertot, Le Père s’est exporté à Londres au théâtre puis au cinéma, avant six nominations aux Oscar. Le voilà désormais couronné par le prix de la meilleure adaptation et par celui du meilleur acteur pour Anthony Hopkins aux Bafta. Connu et reconnu pour ses pièces d’une grande sensibilité, l’auteur français le plus joué à l’étranger s’est plongé dans le septième art depuis le théâtre, vingt ans après une première approche de la scène à travers la musique. « Enfant, ma passion me portait plutôt vers les compositeurs », confiait à Paris Match celui qui, à 23 ans, entreprenait la traduction en français du livret de Háry János de Kodály, à la demande du metteur en scène Jean-Paul Scarpitta pour une production au festival de Montpellier.

Bizet en fil d’Ariane

Crédit photo : S. Gleason

Alors que son talent s’est offert à l’écriture pour le théâtre, la musique n’a jamais quitté le dramaturge. François Couperin l’accompagne pour son « mélange d’apparente simplicité et de profond mystère » (selon des propos recueillis par le Figaro), tandis que les Vêpres à la Vierge de Monteverdi dont il connaît presque toutes les versions tient une place de choix parmi ses références musicales. Aussi tourné vers les compositeurs associés au courant minimaliste, Florian Zeller affectionne Philip Glass, Arvo Pärt… ou encore Ludovico Einaudi dont la musique soutient la narration de The Father.

Cette traduction répondait au désir ardent de son auteur d’associer Anthony Hopkins à l’adaptation au cinéma ; le costume taillé pour le comédien Robert Hirsch en 2014 au Théâtre Hébertot a été recoupé aux mesures de l’acteur britannique, naturalisé américain. Couronné par trois Molières et créé dans plus de 45 pays, Le Père avait été magnifiquement servi par le souffle de Robert Hirsch. On découvrait dans son jeu la relation entre un vieil homme atteint de démence sénile et sa fille, impuissante et désemparée face aux absences, au désarroi et aux emportements de son ascendant. L’auteur projette avec virtuosité le spectateur dans un labyrinthe mental en le déplaçant dans la peau et dans la tête du personnage… Une désorientation progressive et superbement orchestrée sur scène par Florian Zeller qui trouve parfaitement sa place devant la caméra.

Sans s’affranchir des codes propres au théâtre – lieu clos, temporalité ramassée, nombre réduit de personnages… – l’adaptation porte un soin particulier au décor et à la musique blanche d’Einaudi qui illustre la confusion et la fragilité du personnage. Anthony Hopkins campe un père flamboyant, paré d’une rondeur et d’une grâce toutes britanniques. Tout au long du propos, la fibre mélomane du protagoniste s’exprime en filigrane alors qu’il écoute des airs d’opéra dont nous profitons avec lui, ou bien sans lorsque la musique s’extrait du cadre pour devenir la bande originale du film.

« What power art thou ? » de Purcell par Andreas Scholl introduit la première scène ; plus tard, la Callas accompagne sa fille interprétée par Olivia Colman avec l’air « Casta Diva ». Par trois reprises, Cyrille Dubois nous enchante dans Les Pêcheurs de perles : « Je crois entendre encore »… une passion commune à Florian Zeller et Anthony Hopkins qui souligne les moments d’apaisement au milieu d’un inconfort brillamment développé.

Sortie de The Father en salles… à la réouverture de celles-ci.