Ferrare au XVIe siècle, les audaces et paradoxes de Gesualdo, tout y est et nous transporte.

Carlo Gesualdo
Madrigaux, Livres III et IV
Les Arts Florissants,
dir. Paul Agnew
Harmonia Mundi HAF8905309.10 (2 CD).
2019-2020. 1 h 37
Publiés en 1595 et 1596, ces deux livres de madrigaux témoignent du tournant stylistique et du changement de goût poétique opérés par le compositeur peu de temps après son mariage avec Leonora d’Este. Gesualdo est alors à Ferrare, l’une des cours musicales les plus célèbres et les plus importantes d’Italie. Les expérimentations poético-musicales qu’il mène à bien, dans le sillage de Luzzasco Luzzaschi, aboutiront à l’expressionnisme de ses deux derniers recueils de madrigaux.
L’admirable interprétation des six chanteurs des Arts Florissants honore ces deux œuvres de transition. Les phonèmes de la langue italienne, compris comme des couleurs de son, sont reconstitués musicalement grâce à un travail poussé sur la déclamation du texte et sur la restitution des effets dramatiques de celui-ci sans exagération ni affectation (Languisco, e moro, ahi, cruda! du Livre III, notamment la phrase « d’una lacrima sola »). C’est que les interprètes ont parfaitement compris et reconstitué ce qui produit les textures sonores inhabituelles propres à la musique extravagante de ce prince musicien excentrique : la pratique toujours diversifiée des différents procédés polyphoniques au service d’une harmonie discursive parsemée de dissonances (Moro, e mentre sospiro du Livre IV) et la compartimentation ingénieuse d’une multiplicité d’images poétiques tournoyantes prêtes à être mises en musique (« dispietata », « cruda », « morir », « dolore », « pietà », « languire », « sospir », « martire »…) dans un format bref et expressif (Ecco, morirò dunque du Livre IV). Ainsi, la continuité discontinue de l’articulation musicale de plusieurs madrigaux combinant passages tortueux et moments de douceur est remarquablement réalisée (Sospirava il mio core du Livre III, notamment la fin de la seconde partie). À n’en pas douter, cet enregistrement fera date et peut être légitimement considéré comme un modèle de la pratique madrigalesque au XXIe siècle.