Le chorégraphe Po-Cheng Tsai plonge Alice dans un Wonderland taïwanais, étrange et poétique, où tout se trouble.

Crédit Photo : Stéphane Renaud / Vaison Danses

« Qui es-tu ? », demande la chenille bleue à Alice, l’héroïne de Lewis Caroll. La petite fille est bien incapable de répondre, car ce qu’elle cherche au Wonderland – littéralement, le pays des questions autant que celui des merveilles –, c’est précisément son identité, sans cesse troublée par ses rencontres et ses métamorphoses. Elle ne fait en somme que courir après elle-même. Dans son ballet éponyme, présenté en première européenne au Théâtre antique de Vaison-la-Romaine (dans le cadre du festival Vaison-Danses), le chorégraphe taïwanais Po-Cheng Tsai joue habilement avec cette interprétation du conte : son Alice virginale, un peu lac des cygnes, un peu manga, en tutu, bonnet et chaussettes blanches, n’en finit plus de se heurter à des créatures ambiguës, dans un monde étrange et mouvant, sans cesse menacée dans son identité, allusion assumée à la situation géopolitique de Taïwan. Certes, Lewis Caroll n’y retrouverait pas ses petits, tant cette lecture orientale s’éloigne du récit original (le lapin blanc, par exemple, est une sorte d’insecte aux longues antennes qu’il déploie parfois en forme de cœur à notre attention). Mais qu’importe ! Chez Po-Cheng Tsai, tout se trouble : les décors évolutifs en projections de couleurs, les costumes hybrides empruntant à la haute couture et aux traditions asiatiques, la gestuelle nerveuse, mêlant néoclassique, contemporain, folklore, arts martiaux, et même, croit-on discerner, certaines techniques israéliennes comme les mouvements cassés et les corps désarticulés. Grâce à la virtuosité des interprètes de la compagnie B.Dance, les figures s’agencent avec fluidité pour former de superbes tableaux vivants magnifiés par la musique planante du compositeur Rockid Lee… Tout cela est déconcertant, mais l’esthétique est belle, et les danseurs, convaincants. En définitive, c’est la poésie qui s’impose, et il souffle un petit air de liberté qui a séduit le théâtre antique. Cette Alice un peu kitsch, qui entame une longue tournée en France pour la saison○2023-2024*, est en somme le reflet d’un Wonderland taïwanais inquiet qui, Po-Cheng Tsai le dit en privé, a besoin d’être soutenu et applaudi.

Pour plus d’informations

Dates des représentations sur www.bdance.com.tw/news/187