En 2023, le Festival de Verbier (Verbier Festival dit-on sur place) fête ses 30 ans et reçoit une pléiade d’invités plus prestigieux que jamais. Bientôt à mi-parcours, il affiche une fréquentation enthousiasmante et a déjà aligné quelques superbes concerts. Rencontre avec Martin Engstroem, fondateur et directeur du festival, qui soufflera dans quelques jours ses soixante-dix bougies.

Crédit photo : Nicolas Brodard

Comment percevez-vous cette édition 2023 ?

Je sens une énergie manifeste, comme un retour aux bonnes années, à 2018, c’est-à-dire avant le Covid. Nous avions souffert en 2021 et 2022 qui, par rapport à 2019, se sont soldées par une fréquentation respectivement de 50 % et 75 %. Nous sommes cette année à 110 %.

Il est vrai que le public est au rendez-vous. Mais pour le moment, les programmes alignaient du grand répertoire (Concerto pour piano n° 1 de Rachmaninov, Requiem de Verdi, sonates de Beethoven) et des noms célèbres. Cependant vous présenterez deux opéras, tous deux du XXe siècle, qui ne figurent sans doute pas parmi les plus populaires, à savoir Wozzeck de Berg, le 27, et The Rake’s Progress, le 30, de Stravinsky. Comment les avez-vous choisis ?

Ils s’inscrivent dans une programmation qui n’a jamais exclu le XXe siècle. Nous avons donné par exemple Elektra de Strauss avec James Levine en 2003, Pelléas et Mélisande de Debussy en 2012 puis Le Château de Barbe-Bleue de Bartók en 2015 avec Charles Dutoit. Stephen McHolm, directeur de la Verbier Festival Academy, et son équipe ont choisi Stravinsky parce qu’il permet de réunir une jeune équipe autour du Verbier Junior Orchestra que dirige James Gaffigan. Wozzeck relève d’une recherche de l’équilibre pour le Verbier Festival Orchestra qui sera pour l’occasion dirigé par Lahav Shani. Les musiciens qui constituent cet ensemble viennent du monde entier et doivent préparer six concerts durant six semaines. En plus de quelques piliers du répertoire tels la Symphonie fantastique, la Symphonie n° 5 de Tchaïkovski, la Symphonie alpestre de Strauss ou le Quatuor avec piano n° 1 de Brahms arrangé par Schoenberg, je voulais quelque chose qui frotte un peu, qui pousse les musiciens en dehors de leur zone de confort.

On imagine en effet que Wozzeck a dû leur donner des sueurs froides…

Les musiciens arrivent trois semaines avant le début du festival pour travailler par pupitres avec leurs coaches respectifs et l’assistant du directeur musical. Ils ont bien sûr reçu les partitions dès avril. Ceux qui ne les avaient pas ouvertes avant d’arriver à Verbier n’ont pas rigolé.

Choisir une telle œuvre dépasse-t-il le projet pédagogique ?

Je sais par expérience que si je ne programme que Tchaïkovski et Mahler, je n’aurai pas les meilleurs cuivres. Proposer Wozzeck défie les jeunes qui postulent. Ils ne peuvent être que de très haut niveau. Nous avons reçu pour cette édition 2023 deux mille cinq cents candidatures pour cent cinquante places distribuées entre orchestre, solistes et chanteurs. Nous avons probablement à Verbier le meilleur orchestre de « training » au monde. Le niveau est tout simplement incroyable.

Très bien mais comment convaincre le public de venir écouter Wozzeck, en version mise en espace qui plus est ?

Le programme comporte beaucoup de concerts attractifs, tant par le répertoire que par les interprètes. Mais je tiens à ce que le public fasse des découvertes, n’écoute pas que Beethoven et Brahms, qu’il quitte Verbier enrichi. Les festivaliers restent en moyenne six jours. Nous avons donc le temps de leur proposer un menu varié. Il y a la veille de Wozzeck, le 26, Mozart et Rachmaninov par Mikhaïl Pletnev et James Gaffigan, et le lendemain, le 28, des lieder de Schubert et Liszt et des mélodies de Rachmaninov et Duparc par Renée Fleming et Evgeny Kissin. De quoi satisfaire les curiosités.

Le festival fête ses 30 ans et s’est inscrit parmi les principaux événements musicaux de l’été. Comment aller plus loin ?

Avant de penser à aller plus loin, il faut déjà maintenir, ce qui est déjà beaucoup. Rien n’est définitivement acquis, surtout de nos jours. Il faut ainsi trouver chaque année les moyens financiers de réaliser le projet, de recevoir les artistes qui, je le rappelle toujours, ne viennent pas à Verbier pour les cachets mais pour l’ambiance. Et puis il faut vraiment envisager sérieusement la construction d’une salle. Voilà le grand défi ! Cela longtemps que j’en parle mais je ne suis désormais plus le seul à la désirer. Le milieu politique semble se pencher sur la question. Le Covid a incité certains citadins à partir pour venir s’installer à Verbier. Le sport seul ne suffit pas à satisfaire ces habitants à l’année. Il faut créer un centre culturel, pas seulement une salle de concert. Cela demande du courage et une vision à long terme.

Propos recueillis par Philippe Venturini

Pour en savoir plus : consulter le site du Verbier Festival.