Paul Agnew et Les Arts Florissants invitent à redécouvrir des œuvres sacrées de Vivaldi, en reconstituant le contexte de leur création.

Trente ans de bons et loyaux services à l’Ospedale della Pietà n’ont pas suffi à Vivaldi pour accoucher d’une messe ; Venise en valant bien une, Paul Agnew et Les Arts Florissants relèvent le gant avec cette reconstitution de ce qu’aurait pu être la « grande messe » du prêtre roux. On sera d’autant moins enclin à s’indigner de cette parodie (une musique préexistante parée de nouveaux textes liturgiques) que le procédé en était courant à l’époque baroque. Vivaldi le premier démarquait sans barguigner ses propres partitions.

De là ces tiroirs à double-fond de l’Agnus Dei, reconstitué à partir du Kyrie initial et du Magnificat RV 610a, lui-même un arrangement d’un précédent Magnificat… Le Sanctus puise dans le Beatus Vir RV 597 et le Dixit Dominus RV 807 ; tous les autres mouvements sont des compositions originellement distinctes et isolées : le Kyrie eleison RV 587, le Gloria RV 589 (précédé du Motet « Ostro picta, armata spina » RV 642) et le Credo RV 591, le seul attribué avec certitude à Vivaldi.

Enregistrés dans la belle acoustique de Notre-Dame-du-Liban (le dialogue antiphonique entre les sopranos du Christe ressort idéalement), Les Arts Florissants enchantent par leur musicalité empreinte d’élégance et de raffinement. On ne trouvera pas dans le Kyrie initial, écrit pour double chœur, l’âpreté et l’urgence dramatique de Geoffroy Jourdain (Ambronay). Paul Agnew allie mystère et douleur, avec des phrasés amples qui prennent le temps d’entrer dans l’indicible sacré. Idem pour le célèbre Gloria, à l’opposé de l’alacrité univoque de John Eliot Gardiner (Philips) et de la précipitation irritante de Rinaldo Alessandrini (Naïve). Un peintre de la direction est ici à l’œuvre, qui suggère alternativement le clair-obscur d’un Léonard, le sfumato d’un Guardi et la profondeur des perspectives d’un Canaletto. La matière chorale polie n’exclue pas la grandeur tragique « Et in terra pax hominibus » et l’équilibre apollinien entre voix et instruments garantit plus qu’il ne brime les solos savoureux de violon, violoncelle et trompette.

On ne tarira pas d’éloge sur le binôme merveilleusement appareillé et complémentaire formé par Sophie Karthäuser et Lucile Richardot ; suffirait à l’attester le duo « Laudamus te, benedecimus te », parfaitement spatialisé. La voix douce de la soprano belge tempère les accents martiaux du Motet « Ostro picta, armata spina » choisi pour introduire le Gloria. Sophie Karthäuser irradie de l’intérieur le « Domine Deus, rex coelestis » en vertu d’une diction aux contours nets et une émission attachée à ne pas s’ouvrir d’un seul coup. Que ceux qui ont grandi avec la partie de hautbois concertant se rassurent : le violon souverain de Tami Troman leur fera vite oublier leurs habitudes ! Qu’ajouter sur Lucile Richardot que nous n’ayons déjà dit ? On retrouve ici la plasticité instrumentale de la voix, sa faculté à créer des phénomènes de sforzando et de soufflet. Grande gagnante de la contrafacta à l’œuvre dans le splendide Benedictus (issu du Dixit Dominus RV 807), la mezzo nous bouleverse par son art accompli du legato, sa manière de filer puis d’épaissir la ligne de chant sur le doux ruissellement des cordes. Ite, missa est.