La nouvelle production du Ring de Wagner qui se déroule sur deux saisons au théâtre de Bâle est un évènement à plus d’un titre. D’un point de vue local, cela va de soit, quarante années depuis la dernière Tétralogie. Mais au-delà de l’intérêt pour les mélomanes de cette région transfrontalière, les qualités souvent originales des deux premiers volets devraient aiguiser l’intérêt de tout wagnérien voyageur.

Au premier chef, le choix des équipes bâloises de faire disparaître l’orchestre sous le plateau ! Il ne s’agit pas de couvrir la fosse comme au Festspielhaus de Bayreuth mais bien de disposer les musiciens sous les chanteurs. Des claires-voies dans la partie centrale du plancher laissent s’échapper le flot instrumental avec une douceur légèrement assourdie pour les cuivres. C’est le théâtre qui se trouve remis au premier plan, depuis le fond de scène jusqu’au premier rang des spectateurs qui se retrouvent nez à nez avec les chanteurs. La mise en scène de Benedikt von Peter y trouve un impact proprement extraordinaire dans cette salle de 1 200 places.
Alors que l’orchestre tient très longuement l’accord de mi bémol initial de L’Or du Rhin, une voix off présentée comme celle de Brünnhilde résonne : « Comment a-t-on pu en arriver là ? ». Le propos est de présenter le cycle comme l’histoire de la décomposition d’une famille hors-norme. La jeune Brünnhilde fait de la balançoire en fond de scène. Von Peter envisage ce prologue comme une préquelle aux volets suivants. Dans la maison du clan, se trouvent déjà Siegmund mais également son fils Siegfried, un garçonnet que son grand-père, Wotan, distrait par le moyen d’un petit théâtre de marionnettes utilisant toute l’imagerie traditionnelle du Ring. En donnant une présence continuelle aux différents protagonistes, la mises en scène prend des libertés avec le livret mais finalement moins que d’autres interprétations scéniques par ce que ces licences ne font que renforcer l’histoire. Il explique la déchéance du clan par le suicide de Freia, pourvoyeuse des pommes miraculeuses, à la suite des violences extrêmes que les géants lui ont fait subir.

Dans La Walkyrie, Fricka n’en reste pas à sa grande scène du II mais surveille jusqu’à la fin de la journée le patriarche dans l’exécution de ses promesses. Brünnhilde, qui auparavant a été consolée par sa mère Erda alors que l’orchestre s’épanchait avec tendresse, échappe in extremis à l’incendie commandité par son père. Avant le tomber de rideau, Mime surgit et emmène Siegfried au fond des bois. Tout ceci et bien d’autres détails ne fait que renforcer l’histoire à la manière des séries télévisées avec une mise en haleine qui fait désirer l’épisode suivant. Une équipe parfaitement équilibrée de chanteurs porte très haut ce récit avec un souci appréciable de la diction.
Parmi eux, il faut saluer davantage Michael Laurenz en Loge brûlant littéralement le plateau, le Wotan rocailleux de Nathan Berg, présence autant vocale que scénique puisqu’il ne quitte presque jamais le plateau, ou encore la révélation d’une très chaleureuse Brünnhilde, Trine Møller. Dans les rôles des jumeaux, Ric Furman et Theresa Kronthaler font montre d’engagement et de vraie personnalité. Avec ce dispositif scénique, on savoure particulièrement une pétulante troupe de Walkyries dont on entend mille détails ailleurs généralement masqués dans une surenchère inutile. Il faut dire que depuis leur Niebelheim, Jonathan Nott et les musiciens de l’Orchestre du Théâtre de Bâle produisent de l’or musical, sachant allier délicatesse psychologique et urgence du drame. Vivement la suite la saison prochaine !
Pour plus d’informations :
Bâle, les 23 et 24 septembre
Prochaines représentations de L’Or du Rhin et de La Walkyrie : juin 2024.