Un triomphe enfin ! Après Les Noces et Falstaff, Macbeth sauve enfin la mise de la tradition à Salzbourg, où La Passion grecque l’emportait dans la catégorie modernité revisitée.

Macbeth, Salzbourg : Vladislav Sulimsky (Macbeth), Asmik Grigorian (Lady Macbeth), Concert Association of the Vienna State Opera Chorus ©SF/Bernd Uhlig
Et là aussi, Salzbourg sait faire, parfois : sans remonter au célèbre Macbeth de 1964 (Sawallisch avec Fischer-Dieskau et Bumbry ) c’est bien là l’un des Verdi les plus excitants qu’on ait croisé au Festival en cinquante ans. Le secret ? Choisir les meilleurs, et les marier aux forces maison – viennoises en fait. Et le triomphe premier, c’est une fois encore celui du Philharmonique (entendu quatre fois en cinq jours), que Philippe Jordan retrouve de façon imprévue – il remplace tout le mois Franz Welser-Möst empêché – et ces retrouvailles sont explosives. Car la battue du chef suisse, toujours aussi hédoniste et raffinée, est aussi d’une dynamique irrésistible qui entraine la phalange viennoise dans un élan de splendeur ravageuse, qui convient à merveille à ce Verdi encore un peu brut, mais irrésistible, qui n’a rien à voir avec les raffinements d’écriture – salvateurs hier – de Falstaff. De la force vitale qui suinte à chaque tableau, profitent largement les chœurs de Jörn Hinnerk Andresen, en forme superlative, et dont la montée en puissance emporte la salle dans un finale enthousiasmant.
La même incandescence côté solistes
Et bien sûr, côté solistes, c’est la même incandescence, qui devient incarnation majeure, de par la direction d’acteurs de Krzysztof Warlikowski, qui avait déjà monté un Macbeth électrisant, en 2010, à Bruxelles, et qui ici bâtit autrement son récit meurtrier, sur le manque d’enfant : tandis qu’à jardin, les sorcières prédisent leur destin à Banco et à Macbeth, à cour une visite chez un gynécologue annonce à la Lady qu’elle n’enfantera jamais, traumatisme démultiplié par l’écran des gros-plans, avec la formidable mobilité du visage défait d’Asmik Grigoria, et qui sera le conducteur psychologique de son parcours autodestructeur. Décadence physique autant que morale, les époux un temps triomphants finiront décatis, vipérins encore, et tels des Ceausescu détrônés, lynchés par la foule.
Images fortes bien entendu, que Małgorzata Szczęśniak installe à nu dans un immense gymnase glacial, indifféremment lande, château, ou forêt, parcouru des rituels de cour royale ou des invocations des sorcières – apparition fascinante des futurs rois d’Écosse sous forme d’enfants à grosse tête de… Warlikowski lui-même. Quant à l’incroyable brindisi chanté comme au music-hall par une Lady aux airs de Lilli Marleen, façon R.M. Fassbinder et Hanna Schygulla, sous un demi-soleil de rayons lumineux au faîte d’un escalier qu’elle descend bien, il est à l’image déstabilisante, mais référentielle, de cet univers d’illusions trompeuses, qui ne se dissout que dans la douleur et le meurtre. Faut-il s’étonner d’y retrouver alors par fragments projetés Pasolini, son Évangile selon saint Matthieu, avec le regard perdu de Margherita Caruso, ou son Œdipe-Roi ?

Macbeth 2023: Vladislav Sulimsky (Macbeth), Extras of the Salzburg Festival © SF/ Bernd Uhlig
Une symbiose idéale
Dans ce théâtre brut, primitif, intemporel, universel, le Macbeth de Vladislav Sulimsky est volcanique, tout en puissance rentrée, puis exaltée, servie par un timbre profond dont son Tomski ici et à Baden-Baden avait déjà témoigné de la riche palette de couleurs, apte à servir parfaitement la ligne verdienne. La voix d’Asmik Grigorian n’a pas, elle, ce caractère vocal propre à Verdi, faute du velours du timbre, de moelleux des couleurs généralement attendus. Mais pour la Lady, elle a ce qu’il faut de sauvage, de rageur, de violent – et de splendide – qui emporte l’adhésion immédiate, et ses airs sont hypnotisants, comme toute sa personnalité. L’air de Banco permet lui de mesurer à quel point Tareq Nazmi, génial Gurnemanz hier à Genève, a développé ses qualités propres de pure profondeur sonore. Quant à Jonathan Tetelmann, le ténor de la relève, il connaît ici son heure de gloire absolue, avec son Macduff ému et transcendant.
Un Macbeth vertigineux, par la symbiose idéale de toutes ses forces, c’est assez rare pour ne pas être porté au pinacle.
Pour plus d’informations
Salzbourg, Grosses Festspielhaus, le 24 août
Lien du site : www.salzburgerfestspiele.at/en/p/macbeth-2023