Concert d’une grande tristesse à Salzbourg, où un Daniel Barenboïm très diminué par la maladie n’arrive pas à offrir aux actes II de Samson et Dalila et de Parsifal la densité dramatique nécessaire, laissant à l’Orchestre Philharmonique de Vienne le soin de sonorités somptueuses, mais privées de théâtralité. 

On sait Daniel Barenboïm malade depuis des mois. Annuler des concerts ici et là, pire, une tournée avec son cher Divan n’est pas dans ses habitudes. Mais un problème vasculaire inflammatoire le poursuit, et c’est un homme lent, physiquement diminué, qui s’est assis au pupitre du Grosses Festspielhaus, pour lancer l’acte II de Samson et Dalila de Saint-Saëns. Dès les premières notes, on remarque l’absence totale de dramatisme, de tension dans la lenteur des tempos qui s’installent et vont contaminer toute la soirée. La baguette, à peine soulevée, s’arrête de temps à autre, tandis que la main gauche donne les départs : l’orchestre suit heureusement sans problème : aucun désordre, aucun décalage – c’est la machine Vienne dans toute sa splendeur.

Et ici son professionnalisme comme son rendu sonore sont admirables – mais vidés de tout nerf. Hélas, dans le style français de Saint-Saëns qui ne lui est pas inné, ni même acquit, on se prend à entendre les façons, les épaisseurs d’un Bruckner, parfaitement hors de propos, accentuées par la lenteur infinie de la battue. Barenboïm qui connaît pourtant son Samson, n’a pas eu le temps de faire le travail stylistique nécessaire pour ne pas hérisser les oreilles françaises.   

Crédit photo : SF/Marco-Borrelli

Contaminés aussi, et pour les mêmes raisons, les solistes. Michael Volle est celui qui s’en sort le mieux : diction, maîtrise de la ligne et d’un français à l’accent peu marqué, élégance globale, même si quelques couleurs trop germaniques, sont en porte à faux avec le style. Et qui plus est, son Grand Prêtre de Dagon en impose. Mais Elina Garanča n’a pas du tout Dalila dans sa voix, qu’elle force alors, en matière de phonation (les sons en –ons sont affreux), d’articulation (on ne comprend pas un mot), de couleurs (qu’elle assombrit plus que de besoin), de personnage (outré), comme s’il s’agissait avant tout de faire du bruit et de l’effet (cela fera un triomphe). Brandon Jovanovich  chante souvent en stentor, sans beaucoup de nuances, mais au moins le comprend-t-on à peu près… malgré des accents et des ports de voix malheureux. De l’ensemble ressort l’impression d’un concert mal préparé, non abouti, où chacun s’est débrouillé comme il le pouvait, le maître d’œuvre étant comme absent du débat stylistique.

Consterné, on espère mieux de l’acte II de Parsifal, plus dans les gènes de l’orchestre comme des solistes. Le prélude à la scène de Klingsor laisse envisager un instant un réveil : l’énergie est là, les furies du Mage sont telles que Wagner les a écrites. Mais très vite, la torpeur de la direction reprend son rôle dévastateur. On passera le concert à regarder aux jumelles l’art des instrumentistes à oublier la baguette qui devient inerte, pour regarder et s’accrocher au Konzertmeister qui devient le maître de la tenue, de la cohésion. Mais pas du tempo, hélas. 1h22 pour cet acte II, c’est à comparer aux 62 minutes d’Hermann Levi à la création, aux 64 de Richard Strauss en 1933,  aux 56 de Clemens Krauss en 1953, aux 58 de Pierre Boulez en 1966. On surpasse ici même les records de lenteur d’un Knapperstsbusch (de 1h10 à 1h14) et d’un Karajan (1h14), on égale celui de Reginald Goodall, avec 1h23. Mais chacun de ces chefs apportait une énergie, un contenu, un théâtre plus ou moins vivant, tendu, narratif, qui sont ici absents.

Les solistes eux sont à leur meilleur, même si la largeur des tempi les oblige à des prouesses de souffle. Volle est un Klingsor rageur, sonore, à la pâte vocale généreuse et charnue. Jovanovich étonne même par la probité de son chant, qu’il discipline ici pour donner du ton et du racé à son Parsifal, sans rien perdre de ses moyens, qui restent exceptionnels.
Quant à Garanča qu’on sait, depuis la production de Vienne largement diffusée pendant la pandémie, une Kundry majuscule, elle confirme que là, timbre, couleurs, conduite de la voix et maîtrise du volume, pénétration, narration et présence physique sont pour elle une vérité, et pour l’auditeur une éblouissement.

Le chœur des Filles-fleurs (Opéra de Vienne) est excellent, les six solistes, issues du Young Singers Projet de Salzbourg, aussi, et deux sont même exceptionnelles de timbre. Y trouvera-t-on une Netrebko de demain, comme ce fut le cas avec elle dans le Parsifal de Gergiev, en concert ici même en 1998 ?

On imagine ce que cette seconde partie aurait donné si Barenboïm, dont le Parsifal, année après année a trouvé une réelle splendeur à Berlin, aurait pu avoir de magique. Aux saluts, la salle a fait fête à cet improbable aboutissement, à juste raison, offrant ses hommages à tous, et au chef en particulier, mais chacun pouvait ressentir une infinie tristesse à  craindre que ce soit là l’un des derniers concerts du maestro, qui célèbrera ses 80 ans en novembre. On ne peut que souhaiter qu’il recouvre rapidement la santé, et puisse diriger le Ring prévu à Berlin avec Tcherniakov, pour marquer cet anniversaire.

Salzbourg, Grosses Festspielhaus, le 22 août