Quand l’émouvant chef-d’œuvre de Samuel Barber devient un classique… des rave parties !
Il faut savoir s’interroger sur certaines expressions imagées de la langue française. Prenons le cas de « tirer sur la corde », que le Larousse détermine comme le fait d’« abuser d’une situation ». D’un point de vue musical, on pourrait appliquer la formule dans un sens plus strict, avec des cordes bien réelles, lorsqu’on cherche l’émotion à tout prix grâce aux violons. C’est ce que certains reprochent au célèbre Adagio for Strings de l’Américain Samuel Barber (1910-1981), maintes fois utilisé au cinéma.
Souvenez-vous de la bouleversante scène finale d’Elephant Man de David Lynch, ou de la mort du sergent Elias dans Platoon d’Oliver Stone. On l’a aussi entendu dans Rollerball de Norman Jewison, Les Roseaux sauvages d’André Téchiné, Le Fabuleux Destin d’Amélie Poulain de Jean-Pierre Jeunet ou, plus récemment, dans Les Choses qu’on dit, les Choses qu’on fait d’Emmanuel Mouret. Créée en 1936 et jouée pour la première fois en 1938 (sous la baguette de Toscanini), cette lente mélodie pour cordes base sa redoutable émotion sur un thème très simple, remarquablement mis en relief, et une inexorable montée fortissimo dans les aigus. Sauf à avoir abusé d’étranges pilules, qui aurait pu imaginer que ce son de recueillement, lacrymal en diable, deviendrait un classique… des rave parties

De trance en dance
Nom réputé de la scène électronique britannique, le musicien et producteur William Orbit (photo), auquel on doit l’album « Ray of Light » de Madonna, reprend en 1995 différents grands morceaux classiques au synthétiseur dans l’(excellent) album « Pieces in a Modern Style », dont l’Adagio for strings – qui repose sur une superposition de nappes synthétiques, dispositif sonore qui sied plutôt bien à la musique trance.
Il n’en fallait pas plus pour qu’un DJ, le Néerlandais Ferry Corsten, ajoute à cette version un beat électronique massif, divers filtres et des pizzicati synthétiques, proposant un remix qui, immédiatement, provoque l’enthousiasme des amateurs. Sacrilège ? Aberration? Oui. Mais, si on accepte ce parti pris insensé, le contraste entre l’œuvre originale et les codes de la relecture provoque un indéniable effet de sidération, et le crescendo se révèle d’une redoutable efficacité, non sans une certaine richesse émotionnelle. En 2005, un autre DJ vedette, Tiësto, proposera d’ailleurs sa version, encore plus dance: un tube instantané, présent dans d’innombrables compilations et encore largement programmé, qui finit d’imposer Samuel Barber comme… un maître de la techno. Malgré lui.