Quand l’Idole des jeunes déclame un poème apocalyptique de Philippe Labro sur fond de Septième de Beethoven…
Les légendes font les légendes. Si la formule s’avère quelque peu tautologique, elle est sans doute ce qui a guidé, en 1970, Johnny Hallyday lorsqu’il produit l’un des titres les plus iconoclastes de sa discographie. Jusqu’alors considéré comme apolitique, l’Idole des jeunes subit après mai 1968 la ringardisation des yéyés, avec l’essor de nombreux groupes rock anglosaxons et de chanteurs plus engagés. Flairant ce changement d’air du temps, Johnny s’adapte et sort donc un album sombre, « Vie », collant aux préoccupations de l’époque – le désir de paix, la lutte contre les injustices sociales mais aussi la préservation de l’environnement. Et pour se faire entendre, il faut frapper fort : ce sera Poème sur la 7e.
Sur cette plage
Ainsi, le célèbre journaliste Philippe Labro livre à son vieux complice un poème post-apocalyptique, nous mettant dans la peau d’un individu face à un monde dévasté : « Qui a couru sur cette plage? / Elle a dû être très belle / Est-ce que son sable était blanc? / Est-ce qu’il y avait des fleurs jaunes / Dans le creux de chaque dune ? / J’aurais bien aimé toucher du sable / Une seule fois entre mes doigts. » Les mots sont explicites, les images sont simples (naïves?). Mais les notes vont quelque peu changer la donne: Johnny ne chante pas mais récite son message sur fond de… 7e Symphonie de Beethoven – plus précisément, le deuxième mouvement, célèbre pour son sublime crescendo (ici dans un arrangement de 2minutes 30 établi par Eddie Vartan). L’intensité des cordes aurait pu suffire; c’était sans compter sur notre rocker décomplexé, qui, rapidement, monte en puissance – en emphase, aussi –, jusqu’à s’époumoner en hurlant : « Vraiment, c’est vrai ? /Il y avait des enfants / Des rivières, des chemins ? / Des cailloux, des maisons ? » Pour conclure, interloqué : « Ça a vraiment existé ? Vraiment ? »
Aussi aberrante que visionnaire (c’était bien avant Mad Max ou La Route de Cormac McCarthy), cette audacieuse variation sur un thème de Beethoven ne sera pas la seule envolée mégalomane de Johnny. Cinq ans plus tard, il sort en effet un double album concept inspiré par… Hamlet ! On ne résistera pas au plaisir de citer un extrait de sa plus fameuse chanson, Je suis fou, qui montre que certains paroliers mériteraient, parfois, la surdité : « Je suis fou comme une tomate / Je ne tiens pas sur mes pattes. »

Crédit photo : EPA/Eric Bomal