À l’occasion des 85 ans de Steve Reich, le label Megadisc nous entraîne au-delà des limites de l’espace-temps avec la complicité du guitariste Santiago Quintans. Un plaisir vertigineux.

Santiago Quintans a déjà enregistré plusieurs albums aux confins des répertoires expérimentaux et improvisés, dont un « Sun Dome » mêlant les textures jusqu’à la confusion (Clean Feed Records). Le guitariste se penche aujourd’hui sur l’œuvre de Steve Reich, musique répétitive qu’il plie à sa pensée. « Avec Benoît Courribet, mon ingénieur du son, nous nous sommes servis de la complexité sonore de la guitare électrique et de différentes formes de captations pour rendre visible le contrepoint de plans et de masses inhérent à la musique de Reich », explique-t-il (lire la prise de son p. 124).

Le temps à perte de vue

Tout commence par Electric Counterpoint, version grand angle. Dans cette œuvre composée en 1987 pour guitare électrique et bande préenregistrée, le musicien déploie, à travers une multitude de notes répétées, un espace sonore immense, océanique, traversé par des vagues successives de crescendos et decrescendos. Le temps se dilate, les harmonies hypnotisent, qui s’étirent à perte de vue sur des dizaines de mesures. Soudain, un thème dansant transporte sous le soleil brûlant de l’Afrique : les contrepoints inventifs, l’articulation bondissante et les timbres de kora captivent. A-t-on déjà entendu pareils reliefs, pareille vivacité, pareilles textures dans ces pages ? Dans une discographie marquée par la sonorité raffinée de Pat Metheny, dédicataire de l’œuvre (Nonesuch, 1987), Santiago Quintans se distingue par sa façon de faire ressortir les plis, les creux, les confrontations et les saillies du texte. Et quelle vitalité dans son discours !

Steve Reich (né en 1936)
« Guitar Hero »
Electric Counterpoint. Nagoya Guitars.
Electric Guitar Phase
Santiago Quintans
(guitare électrique, basse électrique)
Megadisc Classics MDC 7888.

Syncopes et décalages

Le guitariste poursuit sa recherche du contrepoint bidimensionnel (hauteurs et rythmes) dans Nagoya Guitars. Composée pour deux marimbas en 1994 puis transcrite pour deux guitares par David Tanenbaum en 1996, l’œuvre reprend les techniques de décalage de phases développées par Steve Reich dans les années 1970. Les syncopes incisives et déhanchées, les sonorités pulpeuses et sensuelles, les couleurs variées et les textures protéiformes donnent un caractère vivant à cette lecture : les plans sonores y entrent en collision, flottants, flous, incertains, les lignes s’animent de l’intérieur et donnent l’impression d’un discours inventé au moment d’être joué, reliant directement la tête, le cœur et les doigts – cette spontanéité constante s’oppose à l’élégance claire, intellectuelle, voire un peu sèche, de Mats Bergström.

Electric Guitare Phase vient compléter ce programme, saisissant d’inventivité. Les effets de matières, de nuances et de spatialisation (mouvements panoramiques, réverbération, traitements sonores, pédale d’effets) fascinent et renouvellent l’écoute de cette œuvre composée en 2000 pour violon puis transcrite la même année pour quatre guitares électriques par Dominic Frasca : alors que ce dernier en livre une lecture linéaire (Nonesuch, 1999), Santiago Quintans provoque, par son utilisation de la saturation, des confrontations harmoniques, dessinant des lignes jamais entendues auparavant. Captivant !