Dans un monde lyrique où les excès égomaniaques du Regietheater commencent à sérieusement agacer public et interprètes, le contre-ténor Max Emmanuel Cenčić impose peu à peu une vision cultivée et humoristique de l’opéra baroque au festival Bayreuth Baroque.

Bayreuth Baroque 2023, Flavio de Haendel ©Clemens Manser

Flavio de Haendel, crédit photos : Clemens Manser

Max Emmanuel Cenčić dispose pour ce faire d’un instrument de rêve, l’opéra des Margraves de Bayreuth, où il joue à domicile durant son festival Bayreuth Baroque. Cette année, il y présentait Flavio de Haendel, une rareté de 1723. L’œuvre met en boîte les dérives de l’absolutisme royal. C’est du moins le propos choisi. Le décor de paravents figure les pièces d’apparat de n’importe quel palais du XVIIIe siècle, Londres, Bayreuth ou Versailles. Tout se veut d’époque dans les splendides costumes de Corina Gramosteanu qui emprunte à Hogarth et Van Dyck. Le spectacle enchaîne les scènes de cour et regorge de trouvailles sorties de Saint-Simon et des Mémoires de Lord Hervey. L’intrigue est provoquée par l’appétit de Flavio, souverain priapique et inconséquent qui soumet ses courtisans et ses conquêtes au ridicule de l’humiliation publique, voire au meurtre.

Le Concerto Köln, lestement dirigé par Benjamin Bayl, habille d’un pot-pourri baroque les interludes en puisant dans Haendel, Telemann et Michel Lambert. Cenčić , qui incarne également le tendre et torturé Guido, tire le meilleur de ses interprètes acteurs, tel le jeune contre-ténor français Rémy Brès-Feuillet, comique en diable mais voix encore en construction. Le timbre d’oiseau de Julia Lezhneva offre l’occasion de camper une diva façon Cuzzoni (la créatrice du rôle) qui vocalise sans peine, enchaînant contre-ré et pamoisons. Côté contre-ténors, Yuriy Mynenko et Cenčić dominent largement un spectacle qui évoque à la fois Jean-Marie Villégier et Laurent Pelly.

Un Orfeo sardonique

Sèchement accueilli par un public qui confond parfois baroque et shopping chez l’antiquaire, L’Orfeo de Monteverdi, revisité électro par Thanos Papakonstantinou, Panos Iliopoulos et un octuor d’excellents chanteurs hellènes, fut l’autre belle surprise. Quant à la prestation vériste de Rolando Villazón, sorte de Pagliaccio torturé, la singularité de sa prise de risque émeut. Il mériterait presque qu’on invente pour lui un nouveau style de chant, le recitar gridando. L’équipe grecque tire L’Orfeo vers le mythe originel dans une ambiance sardonique où l’archaïque se marie à une élégante modernité.

Cette édition 2023 de Bayreuth Baroque fut également celle des sopranistes, avec en tête d’affiche Dennis Orellana et surtout Bruno de Sa, récent phénomène vocal. Ayant choisi un programme napolitain très (trop ?) pyrotechnique, l’émotion n’a guère été au rendez-vous de ce qui relevait davantage du show off, question de maturité sans doute. Ces jeunes interprètes ont encore à surmonter le péché originel du contre-ténor, souvent écartelé entre réminiscence de bête de foire (le castrat) et revendication queer. Un mélange des genres qui peut lasser aussi vite qu’il a bluffé.

Bayreuth, Théâtre des Margraves et Église Saint-Georges, les 13, 14 et 15 septembre.

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