Un anniversaire en chasse un autre.

Avec un brin d’amertume pour celui que l’on s’apprête à clôturer. Beethoven, que le monde musical n’a pu honorer comme il en avait l’intention, est « l’une des plus grandes victimes du coronavirus », confie Nikolaï Lugansky dans ce numéro. On pense à ces intégrales de symphonies, de quatuors, de sonates englouties par le virus, avec leurs interprètes laissés sur le chemin. On imagine quel feu de joie aurait dû embraser cette célébration des 250 ans, et combien le message du grand sourd, foi en l’homme, triomphe de la volonté, aurait gagné à être entendu et entonné à tue-tête dans l’horizon gris que nous traversons. Gageons que la fête à Saint-Saëns bénéficiera d’un ciel plus clément en 2021, cent ans après sa disparition.

On l’a un peu oublié, mais 2020 aurait également dû commémorer le centenaire du groupe des Six, sa constitution officielle tout au moins, tant le règne de la bande formée par Auric, Durey, Honegger, Milhaud, Poulenc et Tailleferre fut bref.

Qu’en reste-t-il ?

Crédit image : Joseph Karl Stieler 

Un état d’esprit avant tout, le goût du tacle, la légèreté rebelle d’un Paris perdu, entre gaudriole et surréalisme. Dans un petit bouquin éclairant*, Pierre Brévignon dissèque les origines, l’esthétique, les stratégies puis l’éclatement de « l’entité Six », dont Satie fut le parrain et Cocteau le pivot et chef d’orchestre, communicant hors pair épris surtout de sa propre gloire et qui ne sort pas vraiment grandi de ces pages.

On y traverse aussi le Paris artistique contemporain de la Grande Guerre, coupé entre le sacrifie de ceux qui sont au front et ceux qui n’y sont pas, le besoin d’oublier en dépit de tout, de rire, de grimacer du tragique, du cauchemar de la vaste boucherie à cent cinquante kilomètres de la capitale, avec son couvre-feu et ses « conditions de travail précaires […] obligeant les artistes à rivaliser d’imagination pour pallier la fermeture des institutions artistiques officielles… » Les individualités des Six ont toujours écrasé, par la qualité et la quantité, le maigre produit de leur rencontre : deux opus seulement, l’Album des Six et Les Mariés de la tour Eiffel ! Pourtant, cent ans plus tard, quel remède, vif et bien contemporain, contre la morosité !

* Le Groupe des Six, une histoire des Années folles, de Pierre Brévignon, Actes Sud, 256 p., 20 €.