Le Coq de Kosky éclot sur une lande grise, loin de l’imagerie russe, et c’est tant mieux. Le conte caustique y gagne en envergure et les voix s’y déploient savoureusement sous la direction idoine de Danièle Rustioni.
Voici dix-huit ans que Serge Dorny présidait aux destinées de l’Opéra de Lyon. Tout a une fin, et, en ce 4 juin, dernière de la série d’un Coq d’or rescapé de la pandémie (c’est Aix qui devait en voir la création à l’été 2020 – il la verra finalement en juillet –, suivi par Lyon à l’automne avant la Komische Oper de Berlin), Daniele Rustioni a tenu à saluer ce directeur qui prendra en septembre les rênes de la Staatsoper de Munich.
Un peu ému, il évoquait avec le sourire un bilan riche de nombreuses réussites et de quelques ratés qui a hissé Lyon au rang des maisons qui comptent au niveau international. Et ce Coq d’or s’y inscrit à merveille. Celui qui attendait des images à la Bilibine, tradition russe oblige, aura pu être déçu. Mais peut-on aujourd’hui défendre ce qui ne serait que tradition simpliste, quand un Rimski-Korsakov y marquait sa satire impitoyable du régime tsariste et de sa cour ?
Comme Laurent Pelly à Bruxelles, et sans exclure la poésie (le sommeil du Coq) ni l’excès (le cheval du Tsar), Barrie Kosky est allé souligner tout ce qui grince ici, en installant le conte sur une lande grise traversée d’un chemin de poussière. Comment ne pas penser à Lear et à sa folie ? Mais Dodon, égaré au milieu d’une cour travestie en chevaux noirs tout droit échappés d’un échiquier, y ajoute veulerie, paresse, bêtise, méchanceté…

Crédit photo : J.L. Fernandez
L’Astrologue, qui a la tête de l’auteur, selon son vœu, et la Reine de Chemakha, en paillettes d’argent, entourée de boys façon cabaret berlinois d’avant la folie nazie, n’auront guère de peine à vaincre, avec ce qu’il faut d’humour pour distancier la cruauté du propos. Cela marche, et parvient même à faire vivre le tunnel du duo central, si difficile à porter de bout en bout.
C’est qu’ici les voix sont à la mesure de l’enjeu, entre l’imposant Dodon de Dmitry Ulyanov (quel acteur !) et la pulpeuse Reine de Nina Minasyan. Andrei Popov reste l’Astrologue de sa génération, Margarita Nekrasova expose des graves abyssaux et le Coq de Maria Nazarova incarné par Wilfried Gonon a plus d’épaisseur et d’ombre que souvent. Daniele Rustioni enfin fait rutiler l’orchestration de Rimski tout en jouant le ricanement instrumental plus que la séduction pure. Un beau cadeau d’adieu.
Le Coq d’or de Rimski-Korsakov
Opéra de Lyon, le 4 juin (reprises au Festival d’Aix, Théâtre de l’Archevêché, les 22, 24, 25 juillet)