Michael Jackson réhabilite une œuvre pure et sulfureuse malgré elle de Maurice Duruflé… pour une chanson pop avec enfants. Mauvaise idée ?
S’il est associé par essence à la mort, un requiem n’en est pas moins sujet à renaissance. Parfois dans une dimension où il n’est pas forcément attendu (ou entendu). Parmi les chefs-d’œuvre du genre, on songe naturellement à Mozart, Fauré, Verdi ou Cherubini, mais on a tendance à oublier le pourtant magnifique Requiem op. 9 de Maurice Duruflé (1902-1986). Ce relatif silence serait-il dû à son origine – à savoir une commande du régime de Vichy ? Il y a pourtant une évidente pureté dans cette œuvre sous-estimée, jouée pour la première fois en 1947 et qui connut deux autres versions (en 1950 et 1961). Sa beauté cristalline n’a toutefois pas échappé au King of pop, Michael Jackson. Un véritable mélomane qui diffusait volontiers, à la surprise de ses invités, de la musique classique dans son antre de Neverland…
Destin funeste
C’est ainsi qu’en 1995, pour l’album « HIStory », l’homme de Billie Jean et Beat it eut l’idée de placer en introduction de sa chanson Little Susie le cinquième mouvement du Requiem de Duruflé, « Pie Jesu », qui repose sur ce texte: « Pie Jesu Domine, / dona eis requiem sempiternam. » Un bouleversant appel au sommeil éternel, puis un bruit de boîte à musique que l’on remonte et une voix fébrile d’enfant récite une mélodie. Quelques secondes de silence, et Jackson lance sa ballade pop et mélo, racontant le destin funeste – et véridique, semble-t-il –, d’une fillette tombée dans les escaliers. Seule à la maison et à l’agonie, elle appelait à l’aide les voisins mais personne n’est arrivé à temps. Le texte est explicite, la voix de Jackson choisit à raison la retenue (malgré une légère réverbération), mais la mélodie, assez fluide, abuse un rien du sirop et les cordes synthétiques font un contrepoint un peu toc par rapport à l’introduction. Les intentions sont louables, mais, sur un tel sujet que l’enfance maltraitée, l’esprit déplacé de l’auditeur ne peut hélas s’empêcher de songer au rapport disons « compliqué » de celui que l’on surnommait « Bambi aux petits anges ». Mais l’album en question fut sujet à polémique pour un motif différent, avec une autre chanson, comportant des voix d’enfants, They Don’t Care About Us. Certains avaient en effet vu des élans antisémites dans les paroles contenant les formules « Jew me » ou « Kike me », que l’on préfère ne pas traduire mais qui n’auraient pas détonné dans la France des années 1940 de Maurice Duruflé…