L’insatiable violoniste natif de Chambéry, directeur artistique du Festival de Pâques d’Aix-en-Provence et de celui de Gstaad, a tissé sa toile entre scène médiatique, sphère politique et monde musical pour devenir le musicien classique le plus influent de France. Rencontre au sommet.

Photographe: Simon Fowler
Copyright: Parlophone Records Limited
Nous avons rendez-vous à 10 heures dans le hall de la Fondation Singer – Polignac. Au cœur de ce magnifique hôtel particulier de l ’avenue Georges-Mandel à Paris, une riche héritière américaine a ainsi mis son immense fortune au service des arts : Stravinsky, Poulenc, Falla, Rubinstein, Haskil ou Horowitz ont bénéficié de cette manne. Aujourd’hui, concerts, colloques et résidences de musiciens entretiennent d’ailleurs le souvenir de la princesse de Polignac.
À un jet de pierre, Maria Callas se cloîtrait tandis qu’Onassis menaçait de forcer sa porte avec sa Rolls. Pas loin non plus, Rostropovitch rangeait son Duport dans son étui avant de rejoindre Antoine Riboud qui lui offrait Évian. Nous évoquons ces souvenirs avec Aude, l’attachée de presse des disques Erato, et Catherine, l’assistante personnelle de Renaud. Le violoniste arrive presque à l’heure, tout sourire, à pied, en voisin. Nous montons dans la bibliothèque. Tout n’est qu’ordre et beauté… Le musicien classique le plus puissant de France m’accorde deux heures en particulier. D’où me vient cette impression d’être le secrétaire qui prend les ordres de son patron ? Sans doute ce refus de la modernité qui me fait préférer le bloc-notes à l’appareil enregistreur. Je m’apprête donc à noircir des pages à toute allure pour suivre l’impressionnant débit de l’empereur qui explique Tilsit à ses maréchaux.
On vous a découvert lanceur d’alerte pendant le confinement, soucieux des plus faibles et porteur d’un projet généreux.
J’ai sans doute mûri, mais cela a toujours fait partie de moi, même si, par pudeur ou par cette volonté de ne pas « sortir des clous » qui vient de mon éducation, je ne l’ai pas exprimé publiquement. Je n’ai laissé voir que le côté bon élève gentil qu’on retrouve dans mon aspect physique ou ma manière de m’habiller. Or j’étais intérieurement désespéré. Pas pour moi, mais pour les autres.
Je sais que l’État a fait beaucoup, bien plus que les autres pays du monde, mais si le musicien d’orchestre ou les intermittents ont été protégés, ce n’est pas le cas des solistes qui ont vu s’annuler tous leurs concerts de l’année contre une maigre obole de 1 500 u. Il y a eu des gens connus qui n’arrivaient plus à payer leur loyer. Personne ne m’a rien demandé mais j’ai pris la situation à cœur. Au lieu de pleurer, j’ai imaginé le projet d’une gigantesque captation de toute la musique française, « De Rameau à nos jours », pour donner du travail à tous et créer un document unique, payé par l’État, consultable partout, et qui pourrait s’avérer un trésor national. J’en ai parlé à Bruno Le Maire, Emmanuel Macron et Roselyne Bachelot qui étaient partants.
Pourquoi ça n’a pas pu se faire ?
Je n’en veux à personne. Tout le monde avait tant à faire pour colmater les brèches d’un bateau qui prenait l’eau de toute part. Mais c’est dommage, car c’était un vrai plan Marshall pour la culture, qui aurait mis tous les musiciens français, connus ou pas connus, à égalité et qui aurait rallumé la flamme.
Comment avez-vous personnellement vécu la période du confinement ?
Comme tout le monde : la sidération d’abord, puis la peur, le stress, et l’introspection. Mais le naturel est revenu au galop, je suis un homme d’action et je me suis dit : « Que faut-il faire pour que ça ne se transforme pas en cauchemar ? » J’ai donc initié quatorze concerts filmés par Medici à la Fondation Singer- Polignac. Il s’agissait prioritairement d’aider de jeunes solistes en début de carrière, soixante-dix en tout, à retrouver foi en l’avenir. Puis nous avons organisé trois concerts avec Rolex et Medici. À la mi-juillet, j’ai appris que ma tournée de quinze jours en Chine était annulée.
J’ai donc réservé une semaine pour être avec ma famille, puis je me suis demandé ce qu’il était possible de faire. J’ai appelé Gérard Caussé, Dominique Bluzet (directeur du Grand Théâtre de Provence) et ensemble, grâce à un partenariat privé, nous avons imaginé le projet « Nouveaux Horizons ». Dix jeunes compositeurs, quinze jeunes musiciens et dix créations mondiales mêlées au grand répertoire. C’était une semaine passionnante.
Il y avait du public et même un nouveau public, car je tenais à ce que ce soit gratuit. D’ailleurs, certaines personnes peu familiarisées avec le concert classique se sont senties plus proches de la pièce contemporaine que de « La Truite » de Schubert. Covid ou pas covid, nous espérons bien poursuivre l’expérience. Et puis il y a eu le projet des sonates de Beethoven avec neuf jeunes violonistes et moi-même. Je n’avais pas prévu d’y participer mais Hervé Boissière a insisté, alors j’ai joué la Dixième.
À Pâques, en 2020, vous avez joué à Notre- Dame lors d’un concert retransmis à la télévision qui a suscité des tombereaux d’injures sur les réseaux sociaux. Comme s’il fallait un bouc émissaire à cette crise. Pourquoi tant de haine ?
C’était ahurissant ! D’abord Mgr Benoist de Sinety m’a demandé de jouer les Sept Dernières Paroles du Christ de Haydn avec mon quatuor à cordes. Je suis musicien, croyant, amoureux de Notre-Dame, j’ai tout de suite dit oui. Mais le général Georgelin m’a prévenu qu’il était impossible d’accueillir plus d’un musicien pour des raisons de sécurité. J’y suis donc allé seul. Après cette expérience, j’étais encore rempli d’émotion, quand un ami m’a appelé. C’est par lui que j’ai appris le déchaînement d’insultes déversées sur ma page Facebook. Il y avait des violonistes, des personnes que je connaissais… J’étais abasourdi. En fait, cette période révèle la vraie nature des gens.
BIO EXPRESS
- 1976 Naissance à Chambéry, le 27 janvier
- 1990 Entre au CNSM de Paris
- 1998 Devient premier violon de l’Orchestre des Jeunes Gustav Mahler
- 2000 Nouveau Talent de l’année aux Victoires de la musique
- 2004 La Truite de Schubert, avec Frank Braley, Gérard Caussé, Gautier Capuçon, Alois Posch (Virgin/Erato)
- 2005 Soliste instrumental de l’année aux Victoires de la musique
- 2013 Fonde le Festival de Pâques d’Aix-en-Provence
- 2016 Est fait chevalier de la Légion d’honneur