Raymond duffaut, L’ancien directeur de l’opéra d’Avignon porte aujourd’hui le projet un peu fou d’un « voyage dans la lune » fédérant pas moins de dix-sept théâtres lyriques. Départ prévu à Montpellier. On a hâte d’embarquer !

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Raymond Duffaut, vous avez pris votre retraite des Chorégies d’Orange, et puis de l’Opéra d’Avignon. Mais vous pilotez actuellement le nouveau projet du Centre français de promotion lyrique (CFPL) avec Le Voyage dans la Lune d’Offenbach…
Je mène une vie de retraité. Je reste malgré tout occupé avec le CFPL. En effet, je suis en charge d’une saison de musique baroque à Avignon. Elle présente huit ou neuf concerts par an. À cela s’ajoute la présidence des Saisons de la voix de Gordes à côté d’Avignon, un grand concours international de la mélodie. Je m’intéresse toujours de près aux spectacles de l’Opéra d’Avignon.
Malheureusement, je n’ai plus de lien professionnel avec l’institution. Ce Voyage dans la Lune sera le cinquième projet du CFPL après Le Voyage à Reims (Rossini), Les Caprices de Marianne (Sauguet), L’Ombre de Venceslao (Matalon) et Un Barbier (d’après Rossini).
Comment va se dérouler cette production ? Et d’ailleurs, d’où provient le choix de ce titre ?
C’est le fruit d’une décision commune. Nous avons associé pour la première fois le Palazzetto Bru Zane qui est devenu coproducteur : une collaboration très précieuse qui nous a donné accès à tout un matériel original. Une telle coproduction nationale, réunissant le plus d’institutions possible, n’est pas toujours un long fleuve tranquille mais l’essentiel est de persuader les directeurs de maisons de se rassembler pour créer de la synergie, lorsque chacun a sa personnalité, son identité…
La proposition du metteur en scène Olivier Fredj a été retenue parmi cinquante projets soumis à un jury réunissant tous les directeurs. Trois partenaires nous accompagnent dans cette aventure – le ministère de la Culture, le mécénat de la Caisse des dépôts et la Fondation Orange –,sans lesquels ce projet n’aurait pu être monté, ainsi que France Musique qui s’est d’ores et déjà associé à nous. Nous travaillerons, enfin, je l’espère, avec France 3, le fidèle partenaire de nos productions.
Le Centre fête aujourd’hui ses 50 ans. Pourriezvous nous rappeler comment il est né ?
Il a été créé en 1970 par le metteur en scène Raymond Vogel, qui avait été directeur de l’Opéra de Strasbourg. Sa vocation est de découvrir et détecter de jeunes chanteurs en leur proposant un certain nombre d’actions, notamment le concours de Voix nouvelles créé en 1988 (qui révéla notamment Natalie Dessay), et remis en route récemment pour faire connaître les chanteurs de l’Hexagone.
Vous qui voyez passer des jeunes chanteurs depuis cinquante ans, que pensez-vous de la nouvelle génération ?
Nous avons en France la chance d’avoir une jeune génération exceptionnelle, avec une pléiade de mezzos de très grand niveau, des plus connues à celles qui démarrent aujourd’hui et feront une carrière formidable. Certains jeunes artistes que j’ai fait travailler à mes débuts et dont je ne citerai pas les noms ne savaient pas lire la musique, et chantaient comme on dit « à la feuille ». Ce serait inconcevable aujourd’hui. Car l’exigence est désormais très élevée : à la connaissance des rôles, qui est de plus en plus parfaite, s’ajoute celle des langues, du style, du phrasé, de la dramaturgie des personnages…
Dans la distribution du Voyage dans la Lune, quels chanteurs vous ont émerveillé durant les auditions et sur lesquels vous souhaiteriez vous exprimer ?
Ah ! Je pense à Sheva Tehoval – elle avait déjà été Fantasio à l’Opéra de Montpellier et devrait mener une carrière tout à fait formidable. Marie Perbost a été Révélation aux Victoires de la musique, après que nous l’avons entendue pour ce Voyage dans la Lune. Incarner Caprice (une mezzo dugazon) est déjà une évolution dans sa carrière de soprano. Alors que je lui faisais part de mes interrogations, elle m’a répondu : « Fantasia est un rôle de colorature donc je n’ai pas la voix, et le rôle de soprano lyrique de Flamma n’est pas intéressant. » Elle a tenté sa chance et nous l’avons trouvée formidable en audition.
Avez-vous conservé un regard sur le travail de votre successeur à Orange ?
Je connais bien Jean-Louis Grinda. Il a été secrétaire artistique à Avignon après y avoir fait un stage. Je comprends sa volonté de proposer d’autres titres que ceux qui ont pu être présentés pendant des années. Je sais qu’on me reprochait de programmer régulièrement les mêmes ouvrages, mais dans le contexte on ne pouvait afficher que des titres qui s’adressent au grand public . C’est une règle de base dans un tel lieu de 8 300 places avec un taux d’autofinancement qui dépassait alors les 80 %. Les choses ont heureusement évolué pour Jean-Louis. En effet, les subventions ont doublé par rapport aux dernières années que j’ai connues. Elles sont désormais autour de 1 700 000 u. Pour autant, les problèmes fi nanciers ne sont pas réglés. Depuis deux ans, le déficit continue d’exister.
La crise sanitaire que nous traversons oblige à trouver des solutions pour le monde lyrique. Raymond duffaut, comment voyez-vous les choses ?
J’entends s’exprimer certains artistes, comme Sabine Devieilhe. Et je trouve qu’elle joue un peu contre son propre camp en disant qu’« il suffit d’inventer des petites formes pour se produire partout, avec quelques musiciens et un piano ». Cela fait fi de tous ceux qui font exister les maisons d’opéra, les grands orchestres permanents, le personnel technique, artistique, administratif, tous les intermittents qui vivent de ce métier… C’est bien d’envisager provisoirement certaines choses pour continuer à faire exister la musique et le spectacle mais il ne faudrait pas inciter certains responsables à diminuer les grandes formes au profit de plus petites.
Propos recueillis par Aude Giger et Jérémie Rousseau