« Prodige » ! Deux fois le mot est lâché, dans la dernière livraison de Classica, au sujet d’un pianiste de 23 ans, Alexandre Kantorow, qu’une victoire au Concours Tchaïkovski propulsa, en juin 2019, sur le devant de la scène mondiale. Une première pour un Français, 60 ans après la déflagration américaine Van Cliburn… puis une très longue – et quasi ininterrompue – liste de Russes, et non des moindres : Sokolov, Pletnev, Berezovsky, Matsuev, Trifonov… « Prodige » ? Alain Lompech explicite : « Certitude d’être en présence d’une personnalité pianistique se distinguant par un son, un ton, une présence que de multiples écoutes, loin d’user, incrustent de plus en plus profondément dans notre conscience »… Et ceci encore : « Présence artistique fulgurante, unique, irrésistible, et parfois fragile, car tous payaient de leur personne leur jusqu’auboutisme. » Utilisation de l’imparfait, qui ravive ici la mémoire des grands anciens, les Richter et autres Cortot, Lipatti, Guiomar Novaes ; et, en avançant dans le temps, toutes celles et tous ceux qui, d’Argerich à Pires, de Pollini à Gelber, transformèrent l’essai de la révélation juvénile – car on en connut aussi d’éphémères – en une carrière qui marque l’histoire. Apparaissant plus loin, sous la plume du critique musical, le nom d’Evgeny Kissin, dont il se trouve que le label Melodiya vient de publier l’un des tout premiers récitals, inédit au disque. On est à Moscou, dans cette même ville où une année avant, ce gamin de 12 ans avait subjugué l’auditoire de a grande salle du Conservatoire dans deux concertos de Chopin mieux que prodigieux – miraculeux. Au Musée Pouchkine, ce 23 décembre 1985, retour à Chopin, mais seul au piano cette fois. Et c’est bouleversant de redécouvrir cela aujourd’hui : transcendance instrumentale bien sûr, mais surtout cette évidence, et déjà la hauteur de vue de ce musicien adolescent. Apothéose dans la Polonaise op.44 ! Depuis plus de trente ans, les disques (et les concerts) de Kissin ont accompagné et rythmé notre vie. Mais cet état de grâce et cette insouciante assurance, les a-t-on jamais retrouvés ailleurs que sous les doigts de ce tout jeune… prodige ?

Crédit photo : Jean-Baptiste Millot