« Elle fait du bien à la musique classique »… Parole d’agent, me direz-vous, celle de Jacques Thelen, qui conduit – entre autres grands musiciens, de Martha Argerich aux frères Capuçon, en passant par Nelson Freire et Gil Shaham – les affaires artistiques de Khatia Buniatishvili. « Phénomène du piano », « virtuose controversée » : la dernière livraison de Classica y allait franco de port sous la plume d’Elsa Fottorino, et posait la question tout net, faut-il être « pour ou contre » cette pianiste franco-géorgienne qui remplit les salles de concert sur son seul nom, vend en deux mois et demi plus d’une dizaine de milliers d’exemplaires de son dernier disque – quand, côté streaming, les choses se comptent plutôt en millions. En un mot, une star. Que certaines plumes ont parfois cruellement éreintée (« numéro de cirque de bas étage », écrivait en 2015 The Guardian au sortir de l’un de ses récitals au Wigmore Hall). Mais dont les oreilles affûtées d’autres critiques ont aussi loué, à l’aveugle – salutaire exercice –, la beauté de certains disques: septembre 2017, sa version de la Sonate en si mineur de Liszt se hissait sur la deuxième marche du podium de « La tribune des critiques de disques », sur France Musique. « Une évidence, un immense naturel… », pour l’une, « piano joueur, félin, narratif », pour l’autre. Mieux encore : un an et demi plus tard, la même émission consacrait la version de la Sonate pour violon et piano de Franck par le tandem Capuçon/ Buniatishvili devant quelques-uns de leurs éminents collègues (Faust/ Melnikov, Repin/Lugansky, etc.). « Perfection dans la réalisation instrumentale », notait admiratif Alain Lompech, relevant au clavier un jeu « d’une précision, d’un soin… ». Où l’on voit que la question « pour ou contre ? » – et, si l’on voulait grossièrement opposer, public et « spécialistes », zélateurs et contempteurs – serait donc un poil plus complexe que cela: ce que l’enquête démontra fort bien. Quoi d’autre, alors ? Laissons à un certain Stravinsky les mots de conclusion (à défaut de morale) : « L’idéal, c’est le bon goût. Le mauvais goût, c’est encore très bien. Le pire, c’est l’absence de goût. »

Crédit photo : Esther Haase/Sony