Il y a des disques qui font l’histoire : 50 références ont été recensées dans la précédente livraison de Classica – « pari intenable », ainsi que le soulignait Jérémie Rousseau, mais assumé : « Une belle part de subjectivité dans cette liste, où les présents s’imposent mais où tant d’absents souffrent déjà de n’y être pas ! »

Comment choisir, et renoncer ? Écoutons, lisons quelques-uns des interprètes sollicités pour cet exercice de haute voltige. Quand Sonya Yoncheva évoque le Così miraculeux de Karajan, c’est la chanteuse qui sait ce que peut et doit être le travail d’un chef avec ses solistes, « comment l’inflexion des violoncelles ou la caresse des bois peut aider à faire respirer [la] voix et lui permettre de se déployer pour exprimer la chair d’un personnage ».

Quand Renaud Capuçon choisit le premier des deux Sextuors à cordes de Brahms à Prades en 1952, c’est pour le « bonheur solaire » d’un festival à nul autre pareil conjugué au partage entre générations : notamment Casals, 76 ans, et Madeline Foley, de plus de quarante-cinq ans sa cadette. Les deux sont violoncellistes – la seconde ayant étudié avec le premier.

Et bien au-delà : autour de ce disque mythique, voici l’aventure humaine qui réunit – et parfois sépare – des musiciens qui faisaient, alors, l’histoire, oui. Foley quittera bientôt Prades et Casals pour Marlboro, une petite ville d’à peine mille âmes, à deux cents kilomètres au nord-est de New York. Ici s’écrira aussi une page légendaire de la vie musicale, passé le mitan du xxe siècle.

Lorsque l’histoire de la musique rejoint celle avec un grand H: (re)lisez le magnifique témoignage de Ludovic Tézier. Son choix ? « Beethoven, le Numéro 5, dit “L’Empereur”, une terrible nuit berlinoise. […] Walter Gieseking, bien que né lyonnais, avait, en 1939, choisit le “camp du père”, l’Allemagne ». Mais au piano, en 1944 et « au milieu des décombres d’une tragédie sans mesure, [un artiste] au sommet d’un art de longue date consommé ».

Je tronque le propos, pardon. Il faut lire Tézier in extenso. Et avec cela, nous voici avec l’un des premiers enregistrements stéréophoniques jamais réalisés. Disque pour l’histoire, celui-ci, et sans conteste.