Frémeaux et Label Ouest sortent deux monuments à la mesure de deux colosses, Ray Charles et Django Reinhardt. Olympia mémorable et « Reinhardt Memories » : du lourd !

Dès 1959, Ray Charles multiplie les succès populaires, accédant au statut non seulement d’immense chanteur de jazz mais à celui de vedette internationale. Dans le cadre d’une tournée européenne du « Jazz at The Philharmonic », il se produit à l’Olympia à Paris en mai 1962, le concert étant capté par Norman Granz. L’enregistrement reste un témoignage renversant de la présence et de la magie qu’il dégageait en public. Ses grands succès sont présents : I’ve Got a Woman, Georgia on My Mind, Hit The Road Jack, The Right Time, Unchain My Heart, et, bien sûr, What’d I Say. La version de chacun de ces titres y est souvent supérieure à celle gravée en studio : l’introduction de I’ve Got a Woman, la superbe version de Georgia on My Mind accompagnée par la flûte de David Newman, les interventions flamboyantes de Marjorie Hendrix sur Hit The Road Jack et The Right Time y déchaînent l’enthousiasme du public d’alors comme celui d’aujourd’hui et de demain. Et puis y est offerte une version intense, grave, bouleversante, sur un tempo incroyablement lent, de The Danger Zone, chef-d’œuvre hélas négligé, enregistré quelques mois auparavant en studio.

L’orchestre qu’il y dirige est probablement le meilleur qu’il ait jamais eu : songeons à la section des saxophones qui comprend David Newman, Hank Crawford et Don Wilkerson, à celle des trompettes où s’illustrent Marcus Belgrave et Philip Guilbeau, aux trombones où œuvrent Keg Johnson et Dickie Wells, à la rythmique où règne le batteur sous-estimé Bruno Carr. Plusieurs arrangements sont dus à Quincy Jones, ami d’enfance de Ray, et à Ralph Burns. La formation qu’il réunit alors reste indissociable de la ferveur bluesy de son chant, de l’énergie et de l’âme de son art. Ce coffret, qui contient vingt plages inédites et sept morceaux bonus, constitue la quintessence de son expression artistique et demeure le témoignage irremplaçable de l’intensité inégalée de sa voix (« Ray Charles. Live at The Olympia ». 3 CD Frémeaux/Socadisc. 3 h 28. 3561302581125. CHOC). Le legs musical laissé par Django Reinhardt semble inépuisable tant, au-delà des formules orchestrales variées, son esprit renaît constamment tel un inextinguible feu. Noé Reinhardt, Samy Daussat et Katia Schiavone forment un trio de guitares auquel se joint David Reinhardt pour deux morceaux. Ici, pas de contrebasse ou de batterie, d’où un climat serein, aux énoncés clairs et aérés servant un répertoire où voisinent classiques du genre (Cavalerie, Triste mélodie, Tears), Charles Trenet (Que reste-t-il de nos amours?) et compositions personnelles. Très belle réussite au charme indiscutable générateur d’une leste et profonde poésie musicale (Noé Reinhardt, Samy Daussat et Katia Schiavone. « Reinhardt Memories ». Label Ouest/Bayard Musique. 42’. 3560530404121. CHOC).

DISCO IDÉALE

Pendant des années, des bootlegs de qualité médiocre ont diffusé la musique de ce coffret. Columbia la publie enfin officiellement et en bien meilleure qualité.

En octobre et novembre 1967, le fabuleux quintet composé de Miles Davis, Wayne Shorter, Herbie Hancock, Ron Carter et Tony Williams fit une grande tournée en Europe. Les témoignages en sont infiniment précieux et demeurent irremplaçables tant cette formation représenta alors de magistrale façon, avec le quartet de John Coltrane, l’aboutissement de cinquante ans d’évolution musicale. Dans ce coffret providentiel sont inclus trois CD et un DVD : l’audio rassemble les concerts du quintet à Anvers, Copenhague et Paris, salle Pleyel ; le DVD présente de son côté les concerts à Karlsruhe le 7 novembre et Stockholm le 31 octobre. Ce quintet fulgurant fréquenta constamment les cimes en public, sur un répertoire qui varie peu mais dont il explore avec flamme et une redoutable énergie les constructions harmoniques, jouant avec les tempos, les accélérations, les ruptures, les évasions solistes. Jamais peut-être la plus grande rigueur n’a pris avec une telle autorité le visage de la plus folle des libertés et de la plus impressionnante des perfections. En ce sens, la parution enfin soignée de cette musique et la possibilité de revoir cette formation à l’œuvre autant de fois qu’on le souhaite dans de bonnes conditions constituent un événement discographique de première importance.

Miles Davis. Live In Europe 1967. The Bootleg Series Vol. 1

Un coffret Columbia/Legacy paru en 2009.