Alors que le compositeur belge vient de nous quitter le dimanche 10 avril à Bruxelles, retrouvez son interview faite en été 2017, à l’occasion de la création de Pinocchio à Aix. Douze ans après Julie, Philippe Boesmans revenait en Provence pour y présenter la pièce de théâtre de Joël Pommerat qu’il avait adaptée en opéra.

SDP
Qui a eu l’idée de ce Pinocchio ?
C’est Joël Pommerat, pendant que nous travaillions sur Au monde. Nous nous sommes d’ailleurs très bien entendus et avons ainsi considéré que nous devrions tenter une nouvelle aventure. J’avais fait sa connaissance après avoir découvert ses spectacles, que j’avais par ailleurs adorés.
Qu’est-ce qui vous plaît dans son théâtre ?
Ses personnages sont ambigus, inattendus, surprenants. Ce ne sont pas des rôles de série télévisée. Ils ont une richesse psychologique qui m’inspire et qui semble supporter de la musique. L’idée de transformer Au monde en opéra lui a plu : cet univers fermé, ces rôles complexes, cette ambiance de non-dits à la Maeterlinck… Ensuite, il a pensé que nous devrions adapter un conte. J’ai d’abord lu puis vu son Pinocchio et j’ai été convaincu. Six mois après Au monde, je commençais d’ailleurs déjà à travailler sur Pinocchio. Il me faut deux à trois ans pour composer un opéra. Je ne suis pas rapide.
Comment travaillez-vous ?
J’ai toujours composé à partir de pièces de théâtre existantes, que j’adapte en fonction de critères musicaux. J’ai procédé de même avec Joël Pommerat en lui signalant des phrases ou des expressions qui ne sont pas faciles à chanter. On garde la forme globale et on retravaille chaque scène en conservant le contenu et les personnages. La solution consiste le plus souvent à raccourcir les phrases, car le temps chanté est plus long que le temps parlé, même si, dans Pinocchio, le langage est assez vif. Pinocchio n’est pas un enfant de sept ou huit ans, mais un préadolescent d’une douzaine d’années qui utilise le langage de la rue. Ce sont des phrases courtes. Le tempo général de l’opéra est ainsi plus rapide que celui d’Au monde.
Comment avez-vous choisi les tessitures des personnages ?
On cherchait d’abord un Pinocchio. La durée de la performance et celle de l’opéra, une heure cinquante environ, interdisaient de choisir un jeune garçon ; c’est vocalement trop risqué. Il nous fallait donc une jeune femme susceptible de chanter, par exemple, Yniold dans Pelléas et Mélisande. Nous avons choisi Chloé Briot qui l’incarnait en effet dans la mise en scène de Katie Mitchell, à Aix-en-Provence, l’an dernier. Elle est petite, vive et convient parfaitement au rôle. Joël Pommerat avait d’ailleurs également choisi une fille pour sa pièce de théâtre. Les autres personnages appelaient des tessitures qui allaient de soi.
Le père est ainsi un baryton-basse (Vincent Le Texier), et la Fée, une soprano colorature (Marie-Eve Munger). Il y a également un rôle très important, un narrateur, une sorte de M. Loyal, tenu par Stéphane Degout. La pièce présente une troupe ambulante qui peine à joindre les deux bouts, dont les acteurs additionnent les rôles. Yann Beuron en cumule ainsi cinq. S’y ajoutent trois musiciens, un violoniste, un accordéoniste et un saxophoniste.
Quel type d’orchestre avez-vous alors choisi ?
Un ensemble modeste de 19 musiciens, semblable à celui requis pour Julie.