Paul Van Nevel et l’Ensemble Huelgas explorent les relations entre la musique franco-flamande et les terres de ses origines. Ce coffret, conçu avec intelligence et superbement illustré, invite à la découverte d’un répertoire fascinant.
Ce double disque brille par son intelligence qui permet à l’art des interprètes de se déployer dans un ensemble séduisant et cohérent. Célébrant le cinquantième anniversaire de l’ensemble, il parvient à trouver le point d’osmose entre talent musical, exploration du répertoire ancien et discours personnel. Il répond également à la publication par Paul Van Nevel d’un livre du même titre (Editions Lannoo, 2018), ouvrage qui cherche à explorer les relations entre la musique des franco-flamands et les paysages qui l’ont vue naître — l’enregistrement est donc accompagné d’un livret de qualité où figurent les photographies du talentueux Luk Van Eeckhout, également impliqué dans la réalisation du livre.
Les deux disques s’articulent chronologiquement selon le tournant du xvie siècle et proposent des pièces diverses, tels un virelai de l’ars subtilior, des extraits de messes franco-flamandes, des lamentations et des chansons. La somme témoigne d’un génie de la conception de l’objet discographique, et bien qu’on l’aurait espéré plus long (le coffret ne se justifie que pour accueillir l’épais livret, pas pour loger une grosse heure de musique qui tient facilement sur un seul CD) le voyage ne saura décevoir.
Si de grandes lignes directrices se dessinent et donnent aux deux disques une forme d’unité, le produit fini se rapproche de la collection d’instantanés où chaque pièce est méticuleusement taillée, soignée et insérée à la place qui est la sienne. Ainsi, après le spectacle offert par le virelai Ma douce amour de Johannes Symonis Hasprois (ca. 1360-1428), l’entrée dans le monde franco-flamand est adoucie par le rondeau Bel acueil d’Antoine Busnois (ca. 1430-1492) aux nervures moins saillantes, mais où la souplesse des voix et l’astuce de la construction sont un seuil à la contemplation pathétique. Ailleurs, après un segment consacré à Josquin, dont l’Agnus Dei de la Messe « Malheur me bat », à la complexité contrapuntique redoutable (une succession de canons à la disposition millimétrée), survient la Lamentation pour le Jeudi saint d’Antoine Févin (ca. 1470-ca. 1511) dont la simplicité des moyens expressifs offre un contraste saisissant.

« The Landscape of the Polyphonists »
Œuvres de Busnois, Gombert, Josquin, Ockeghem… — Ensemble Huelgas, dir. Paul Van Nevel — Deutsche Harmonia Mundi 19439955002 (2 CD). 2021. 1 h 10 min
Le deuxième disque fait entendre les transformations qu’apportera le xvie siècle : est venu le temps de l’événement vertical et de la douleur amoureuse avec le trop rare Josquin Baston (ca. 1495-ca. 1550) et Ung souvenir me conforte qui offre un soudain lyrisme teinté de dolorisme. Le ton est donc mouvant et la couleur du chœur savamment altérée selon les besoins du répertoire abordé comme dans les grandes architectures, que magnifiera Palestrina, du motet Locutus est Dominus de Jean L’Héritier (ca. 1480-ca. 1552)
La beauté vocale, la capacité des interprètes à rendre sensible ce répertoire lointain et le fourmillement d’idées musicales sont secondées par un sens de la structure pour mener à bien un projet qui est à la fois une mosaïque magnifiquement ciselée, un parcours à travers l’intégralité du spectre des Franco-flamands et, au fond, un grand moment de musique.