Wozzeck aura eu bien du mal à s’inscrire au programme du Festival d’Aix-en-Provence : trop « moderne » pour le public du Festival Mozart initial, quand Karl Böhm l’imposait déjà à Salzbourg dès 1951, malgré bien des résistances. Stéphane Lisner osa le premier, mais échoua du fait de la grève des intermittents du spectacle, voici vingt ans : on ne put voir la très sobre et forte mise en scène de Stefan Braunschweig qu’à Lyon, qui l’avait coproduite. La production de Simon McBurney et Simon Rattle devait suivre en 2020 mais tomba, victime du Covid. Elle apparaît enfin sur la scène du Grand Théâtre pour marquer le soixante-quinzième anniversaire du festival.

Crédit photo : Monika Rittershaus

C’est un Wozzeck sombre que Simon McBurney et sa scénographe Miriam Buether ont dessiné : un plateau nu, à triple tournette pour marquer le délire de la société brutale qui détruit peu à peu l’esprit de Wozzeck. Au-dessus, trois parois immenses que les projections vidéo de Will Duke — clapets battants, fenêtres de HLM, nature comme morte, ou visages, de Marie, de Franz, des tortionnaires, agrandis – sur-animent. Soldatesque bien ordonnée, à la manœuvre comme à la chambrée – dont le clone enfant du Capitaine, aussi méchant que lui, dit dès le départ que la bêtise sera de tout temps –, équipe médicale aux ordres, populace désordonnée, créent l’univers déviant du pauvre soldat et de sa pauvre compagne, écrasés, mais noyés aussi quelque peu.

Crédit photo : Monika Rittershaus

William Kentridge, bien plus fouillis pourtant, les mettait en extrême présence. Ici Christian Gerhaher, portant dans son regard toutes ses hallucinations, dans sa voix toutes ses déchirures, reste un grand Wozzeck, mais hante moins qu’en d’autres productions, même s’il distille toujours le contenu du texte avec son génie du mot. Malin Byström, trop saine, pas assez défaite, marquée par le destin, ne capture pas plus la compassion immédiate. Vérification faite sur la captation vidéo du même soir, où l’agitato du décor disparaît enfin pour que l’œil se recentre sur eux, ils prennent alors leur dimension vraie. Même un Tambour-Major (Thomas Blondelle, parfait) perd ici de son clinquant, un Docteur sûr de sa folie propre (Brindley Sherratt), un Capitaine ignoble (Peter Hoare), un Andres trop pâle (Robert Lewis) y sont plus incisifs.

Crédit photo : Monika Rittershaus

Simon Rattle déroule sous leurs voix un tapis d’une somptuosité sans égal, entre précision analytique et charme sonore viennois. Et son Orchestre symphonique de Londres déploie en réponse un savoir-faire, un sens du détail instrumental comme de la structuration des ensembles, jamais épais, même dans les ébranlements les plus sonores. Mais le chef a fait le choix d’arrondir les angles, d’adoucir la violence, le grinçant. Wozzeck en sort comme adouci par trop d’élégance, et privé de sa violence extrême. Est-ce pour cela qu’on est resté un peu en dehors ?

Le lendemain, on retrouvait Sir Simon pour un superbe concert avec le LSO, associant la création continentale de la toute dernière pièce de Betsy Jolas, Ces Belles années, amusant retour sur ses souvenirs, ponctuée d’une intervention vocale festive de Faustine de Monès, à la Symphonie n° 7 de Mahler. Même constat qu’avec Berg, la splendeur sonore hédoniste efface un rien trop le désespoir et l’interrogation existentielle des deux derniers mouvements.

Aix-en-Provence, Grand Théâtre de Provence, les 13 et 14 juillet

Crédit photos : Monika Rittershaus

Pour en savoir plus : consulter la page dédiée à cette production sur le site du Festival d’Aix -en-Provence.