
Crédit photo : Tristram Kenton
Après les émeutes du Stonewall Inn, à New York, en 1969, catalyseur de la lutte pour les droits des homosexuels aux USA, parut en 1977 un livre de Larry Mitchell, The Faggots & Their Friends Between Revolutions, et devenu rapidement culte. Contant la libération engagée des « pédés » face à la domination des « hommes », avec l’aide de leurs amis (folles, fées et « femmes » surtout), dans la cité de Ramrod (bandaison, en argot US), cette parabole utopique célébrait la liberté, le sexe, le plaisir, l’altérité et le partage. Un brin révolutionnaire, ce délire irrévérencieux n’en est pas moins devenu prémonitoire, vu la façon dont le mouvement LGBTQ+ a fini par transformer ce qui n’était que dystopie en une réalité tangible, celle de notre monde présent.
Qu’après le Manchester Festival, où elle a été créée en juin dernier, le Festival d’Aix-en-Provence puisse célébrer la mise en musique et en scène de pareille fable engagée montre l’évolution des sociétés qui acceptent désormais les altérités comme la normalité.

Crédit photo : Tristram Kenton
Philip Venables et Ted Huffmann ont de concert transformé le récit original en un spectacle ouvert, où la partition, entre esprit baroque et modernité très aisée d’accès, n’est qu’un squelette dont les artistes s’emparent, transformant un schème de jeu ouvert et libre d’appropriation en l’investissant de leur art personnel. Et installant la joie partout, parce qu’ils en sont les merveilleux ambassadeurs, réinventeurs et recréateurs.
Rien d’étonnant à ce qu’on retrouve ici les principes de la réussite du Couronnement de Poppée de l’été dernier : plateau du Pavillon Noir (le temple de la danse d’Aix) nu, entouré de coulisses ouvertes, avec instrumentarium prêt à servir, portants à vêtements et sièges pour les quinze interprètes, tous jeunes, à l’exception du formidable Christopher (Kit) Green, narrateur évoquant la Bernadette incarnée par Terence Stamp dans Priscilla folle du désert. Et tous formidablement engagés, qui ténor, luthiste et guitariste (Kerry Bursey), qui violoncelliste et gambiste (Jacob Garside), qui multi (Colin Shaw, Meriel Price) ou simple instrumentiste (la harpiste Joy Smith, le flûtiste Eric Lamb, le violoniste Conor Gricmanis), qui danseuse et autre narratrice (Yandass), qui chanteuse (Mariamielle Lamagat, Deepa Johnny, Katherine Goforth), beaux, vrais, devenant en osmose chanteurs en chœur, danseurs en troupe. Sur scène aussi, pour les mener du piano, Yshani Perinpanayagam.

Crédit photo : Tristram Kenton
L’esprit années 1970 revisité règne, avec un rien trop de bons sentiments dans le texte, de facilités. Et une réserve cependant, ce spectacle communicatif, où Kit Green arrive à faire chanter le public, se clôt sur une tonalité sombre. Car, une fois l’objectif atteint, les « fags » se sont mis à imiter les « hommes » et leurs travers. Mise en garde d’un risque d’éternel recommencement ? La joie disparue, la morosité s’installe, c’est aussi notre temps. On eût préféré garder en conclusion l’une des phrases les plus positives de l’ouvrage : « The more you share, the less you need ».
Aix-en-Provence, Le Pavillon noir, le 9 juillet
Crédit photos : Tristram Kenton
Pour en savoir plus : consulter la page dédiée à cette production sur le site du Festival d’Aix-en-Provence.