Jusqu’au 15 juillet, Roméo et Juliette de Charles Gounod est donné à l’Opéra Bastille dans une mise en scène de Thomas Jolly, sous la direction musicale de Carlo Rizzi.
Absent depuis 1985 du répertoire, Roméo et Juliette entre enfin à Bastille, sans souffrir de la vastitude de la scène. C’est que Thomas Jolly et son décorateur Bruno de Lavenère ont su l’occuper, mieux, la saturer. Le premier avec une animation des chœurs, figurants et solistes de tous les instants, jusqu’à l’excès même parfois, mais très efficace, avec l’aide des costumes rouges et noirs et des masques de fête somptueux signés Sylvette Dequest. Le second en installant sur une tournette une réplique en bois sombre, impressionnante, du célèbre escalier de la maison mère, exalté par la surcharge de candélabres « ponnelliens », plongé dans un noir zébré des faisceaux blancs et crus d’Antoine Travert, façon comédie musicale gothique. Tout évoque le Garnier qui danse plus que celui qui chante, prenant des airs de salon pour le Masque de la mort rouge, de poupe de galion pirate hollywoodien, ou de dédale pour quelque Fantôme de l’opéra. Pas de ripage temporel, pas de réécriture de l’action en banlieue ou dans l’espace, merci, mais un Shakespeare exploité en sa pure dynamique théâtrale, et traité comme hommage multiple à la tradition lyrique XIXe locale, qui plus est magnifiée par une exécution éblouissante.
Une troupe excellente autour d’un couple principal qui s’impose
Car la fête vocale est absolue. Les seconds plans, tous excellents, montrent à quel point le côté troupe « maison » reprend du sens quand l’école nationale atteint ce niveau : des jeunes faisant leurs premiers pas ici (Sergio Villegas Galvain, Thomas Ricart, Jérôme Boutillier), des valeurs plus qu’établies comme le frère Laurent ému de Jean Teitgen, le brutal Capulet de Laurent Naouri, la Gertrude effarée de Sylvie Brunet-Grupposo, des figures marquantes comme le Tybalt sonore de Maciej Kwaśnikowski et le Stefano délicieux de Lea Desandre sont merveilles, tout comme le Mercutio si vif, si séduisant de timbre campé par Huw Montague Rendall.

Roméo et Juliette
Crédit photo : Vincent Pontet/OnP

Roméo et Juliette
Crédit photo : Vincent Pontet/OnP
Tous font écrin autour de Benjamin Bernheim et Elsa Dreisig, somptueux au point d’effacer nombre de souvenirs pourtant glorieux en ces rôles, parce qu’ils imposent d’abord leur jeunesse et qu’ils chantent un français absolu. Lui est un Roméo d’une parfaite séduction, nuancé, élégant, qui n’appuie jamais mais lance des aigus insolents de toute beauté et joue pour une fois plutôt investi et dramatiquement vrai. Elle, plus naturelle, rayonne de charme, de moelleux, de lumière et d’intensité, entre fragilité innocente et volonté inflexible, comme naguère dans sa Salomé. Airs et duos sont alors des éblouissements continus.
Carlo Rizzi dirige avec un sens aigu du charme de cette partition, avec une main parfois un rien lourde (les ballets, en forme de respiration esthétique en blanc plus que dramatique) et pas toujours la poésie attendue (l’ouverture du rideau du IV, plate). Chœurs puissants, mobiles, mais parfois imprécis. Qu’importe, on s’est cru revenu à ce passé glorieux qui faisait courir l’Europe entière à Paris, il y a si longtemps. Un bonheur !
Paris, Opéra Bastille, le 17 juin
Pour en savoir plus :
- Consulter la page dédiée à la production Roméo et Juliette sur le site de l’Opéra de Paris.
- (Re)lire le compte rendu de CLASSICA sur Salomé de Strauss à Aix-en-Provence avec Elsa Dreisig dans le rôle-titre.