Un club de jazz des années 1950 sous les lumières tamisées. Les barmen s’affairent, la clientèle va et vient entre les tables et la piste, le pianiste fait vibrer les basses du Steinway à queue au centre. Et soudain le chœur swingue, la diva noire du club chante : c’est Porgy and Bess de Gershwin.

L’opéra emblématique étasunien paraît ici en version réduite, en temps comme en rôles. Dans cette adaptation et transposition (des quartiers pauvres de Charleston), l’infirme Porgy, le souteneur Crown et le dealer Sportin’Life tournent autour de l’entraîneuse Bess, tandis que Serena diffuse les tubes de Gershwin au micro (« Summertime »). Une dramaturgie a priori pertinente puisque ces derniers ont réellement été popularisés dans les clubs new-yorkais d’après-guerre où une certaine mixité rassemblait musiciens noirs et clientèle blanche. Pendant la Grande Dépression, la création de Porgy and Bess à Boston (1935) avait eu moins de retentissement, bien que sa diversité culturelle soit pionnière en opérant un syncrétisme du musical, du jazz et de l’opéra des colonisateurs.

Porgy and Bess
Crédit photo : Pierre Planchenault

Porgy and Bess
Crédit photo : Pierre Planchenault

En 2023, le défi de la production bordelaise semble être de valoriser le chœur de l’Opéra de Bordeaux dans un spectacle festif en clôture de saison. Mission accomplie tant le dynamisme vocal, l’esprit du swing dans les negro spirituals et les danses esquissées animent la formation sous la direction de leur chef, Salvatore Caputo. Le tout porté par l’énergie jazzy que transmet le pianiste Martin Tembremande. En outre, les costumes des sixties sortent des réserves de l’Opéra national de Bordeaux, en accord avec sa démarche éco-responsable.

Porgy and Bess
Crédit photo : Pierre Planchenault

Une relecture partiellement convaincante

Dans la mise en espace d’Emmanuelle Bastet et la scénographie économe de Tim Northam, le second défi tient moins la route, celui de construire la dramaturgie autour d’un chœur « blanc » et de solistes « noirs ». Comment articuler les destinées individuelles des héros populaires (marins, cotonniers, dealer, droguée) dans l’univers lisse du club de jazz ? Comment tramer les destinées tragiques des exclus alors que les numéros de chant du club, découpés dans la partition originale, évacuent leurs péripéties ? Sans opter pour les chorégraphies des musicals cinématographiques des années 1950, ou pour la formation trio de jazz, la transposition n’est pas toujours convaincante. Bien que le trépignement des choristes sur le parquet ou le shaker du barman pulsent efficacement certains ensembles !

Cependant, l’engagement du quatuor de solistes « noirs » (tel que la fondation Gershwin l’exige) est à la hauteur de celui du Chœur. Les deux sopranos empoignent leur rôle avec sincérité et de superbes moyens vocaux. Marie-Laure Garnier s’expose hardiment lors des deux duos phares maintenus dans cette réduction : celui avec son amant Crown génère une violence vocale et sensorielle, alors que celui avec son amoureux Porgy respire l’amour dans sa générosité désintéressée. Axelle Fanyo (Serena, Clara) excelle dans la nonchalance des glissandos (« Summertime ») et tout autant dans les flammes d’un aigu charnu. L’expression de ferveur religieuse (et de détresse) est perceptible chez le baryton-basse Joé Bertili (Porgy) alors que le masculinisme toxique sourd des répliques du baryton Jean-Laurent Coëzy (Crown). Idem pour les seconds rôles affûtés, celui de la pétillante mezzo Amandine Portelli (Maria) et du ténor Mitesh Khatri (Sportin’Life).  Aussi, le succès du public chaleureux légitime ces épousailles entre le naturalisme de Gershwin et l’imaginaire de la relecture.

Porgy and Bess à l’auditorium de Bordeaux, les 6, 7 et 8 juillet 2023

Porgy and Bess. Crédit photos : Pierre Planchenault

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