Bobbi Jene Smith et Or Schraiber plongent les danseurs de l’Opéra de Paris dans les abysses de l’inconscient en une transe électrisante. Irrésistibles ténèbres.
D’abord, il y a ce murmure sourd qui monte d’on ne sait quelles ténèbres, puis le chant céleste du violon qui déchire l’espace et touche droit à l’âme, et cette vague invincible de l’orchestre qui roule, soulève les danseurs et les secoue comme des diables fous, reproduisant l’état de possession quasi mystique dans lequel se trouvait Jean Sibelius en 1905 lorsqu’il composa cette œuvre célébrissime (Concerto pour violon en ré mineur). « Cette partition, c’est une bête sauvage ! », dit la chorégraphe Bobbi Jene Smith qui, avec son complice Or Schraiber, en a fait un ballet lui aussi explosif, intitulé Pit (qui signifie « le gouffre ») et interprété par la compagnie de l’Opéra de Paris au palais Garnier. Il s’agit bien de cela : une plongée dans le gouffre de notre inconscient, une hypnose collective où se décline par flashs violents la gamme des émotions humaines, joie, désir, fureur, tendresse, désespoir…
Une danse frénétique et stupéfiante
Sur la scène ouverte jusqu’aux coulisses, il n’y a qu’une vaste estrade que les interprètes investissent ou fuient comme s’ils y jouaient leur vie. Des femmes, des hommes se cherchent, s’attirent, se confrontent, s’enlacent, se séparent… Puis soudain, un groupe se compose, s’accorde, ne formant plus qu’un seul organisme, rejouant l’éternelle tragi-comédie de l’attirance et de la répulsion. Tout cela va à une vitesse folle : mouvements frénétiques, débridés, désarticulés, une sorte de transe électrisée par ce style incomparable inventé en Israël par Ohad Naharin et sa Batsheva Dance Company dont les auteurs de Pit sont issus. Chaque lancer de bras, chaque porté, chaque cambré est une fulgurance, une projection rageuse des corps dans l’espace comme autant de détonations. On renonce à la narration, on renonce à la compréhension, et on se laisse nous aussi couler dans ces abysses irrésistibles.

Pit. Opéra national de Paris, palais Garnier — Paris, le 21 mars
Crédit photo : Yonathan Kellerman – OnP
Les danseurs de l’Opéra de Paris sont une fois encore exceptionnels de justesse et de virtuosité, tout comme Petteri Iivonen, le premier violon campé à l’avant-scène, qui nous tire des larmes à chaque coup d’archet. Rarement un ballet atteint une telle transcendance au point de provoquer en nous, selon le beau mot de Bobbi Jene Smith, une stupéfiante collusion de tristesse et de beauté.
Pour en savoir plus :
- Consulter la page dédiée à la production Pit sur le site de l’Opéra de Paris.
- Visionner un entretien avec Bobbi Jene Smith et Or Schraiber autour de la création de Pit.