On sait le précédent de la création mondiale, retentissante, de Written on Skin, l’été 2012, au Festival d’Aix-en-Provence, qui avait établi, avec la découverte d’un chef-d’œuvre, le statut de compositeur lyrique contemporain majeur de George Benjamin, confirmé depuis par la création de Lessons in Love and violence en 2018 à Londres. Le voir revenir à Aix cet été, pour la création d’un nouvel opus, ne peut que confirmer le rang de lieu de création contemporaine essentiel pris peu à peu par le Festival, qui orne ainsi ses 75 ans d’une nouvelle œuvre d’importance.

Certes, Picture a Day Like This n’a pas l’envergure de ses deux prédécesseurs, et renvoie plutôt à Into the Little Hill, le premier opus lyrique de Benjamin, créé à l’Amphi-Bastille en 2006. Choix qui évoquent les Church Parables de Benjamin Britten, par la forme (orchestre de chambre, distribution réduite), l’ampleur (une heure dix, à peine) et le sujet.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Association parfaite du texte et de la musique

Martin Crimp, le complice de tout temps, a concocté un sujet saisissant, inspiré de plusieurs contes anciens traitant du malheur, de la quête, de la mort : la Chemise de l’homme heureux, parcourant l’Europe de l’Est au XIXe siècle, Le Roman d’Alexandre écrit en grec vingt-deux siècles plus tôt, et le conte bouddhiste de Kisâ Gotami écrit deux cents ans avant. Crimp en a tiré le récit du nouvel ouvrage commun, parcours d’une femme accablée par la mort de son enfant et à la recherche d’un miracle impossible, croisement de déceptions qui la ramène à elle-même et à la réalité enfin acceptée. Derrière la dimension morale, on trouve l’espoir, trompeur – trouver une personne heureuse – qui mène à la connaissance de soi.

Benjamin n’a eu qu’à déployer ce qui fait son art propre, attachant à une écriture vocale d’un parfait naturel cette luxuriance orchestrale mystérieuse faite de moires et d’éclats, tapissant d’ombres et de lumières, de silences et de paroles poussées à la déchirure comme à la pacification. Osmose parfaite pour le Mahler Chamber que le compositeur dirige en inspirateur et pour qui il a fait la part belle aux flûtes, clarinettes, hautbois et bassons, pour la compassion, aux cuivres aussi, pour la révolte, au célesta et à un ensemble de sept cordes, pour la souffrance.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Scénographie sobre et intelligente

L’espace scénique est une boîte sombre aux parois de métal gris satiné, que traverse un chemin mobile, blanc. Un dispositif simple, très concentré, signé de Daniel Jeanneteau et Marie-Christine Soma, compagnons de la première heure scénique, et qui gère habilement les diverses rencontres de la femme, deux amants égoïstes (Beate Mordal et Cameron Shahbazi, excellents aussi en compositrice imbue d’elle-même et son assistant servile), un artisan qui perd l’esprit (John Brancy), également collectionneur compatissant qui lui ouvre le jardin de délices de Zabelle (Anna Prohaska, lumineuse), son reflet, en fait son seuil de prise de conscience. La femme, enfin, c’est Marianne Crebassa, magnifique, intériorisée ou affolée, pour qui l’œuvre a été écrite, et qui en est le vecteur d’émotion vive. Une totale réussite, à revoir vite à l’ONR, à Strasbourg, et encore ailleurs…

Aix-en-Provence, Théâtre du Jeu de paume, le 12 juillet

Crédit photos : Jean-Louis Fernandez

Pour en savoir plus : consulter la page dédiée à cette production sur le site du Festival d’Aix-en-Provence.