Faire entrer Die Dreigroschenoper (L’opéra de quat’sous) de Kurt Weill au répertoire du Festival d’Aix-en-Provence, pour racheter l’échec patent de Mahagonny voici quatre ans, s’imposait. Le rendre accessible au public français qui en connaît les rythmes et l’entrain par de multiples productions en langue originale, en optant pour une version traduite et actualisée, aussi ! Jouer le luxe du théâtre avec les Comédiens Français – reprise prévue chez Molière – et l’authenticité de cette pièce avec musique dirigée par Thomas Ostermeier, le directeur de la Schaubühne de Berlin, pour en renouveler l’esprit, c’est prometteur ! Comme y associer Le Balcon et son chef touche à tout, Maxime Pascal, aussi à l’aise dans Eötvös que dans Stockhausen.

Pari gagné ? Non, l’ennui naît ici de cette diversité non maîtrisée. Avec Quat’sous, il faut jouer d’une gouaille proche du cabaret berlinois qui unifie tout, de l’air d’opéra au jazz, de la goualante au choral allemand traditionnel, en y instillant un théâtre caustique, persiffleur, comme substrat aussi dynamique pour le parlé que la partition l’est pour le chanté.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Des acteurs-chanteurs irrésistibles

Pas de difficulté majeure pour les parties chantées, avec leur verve rageuse et irrésistible : Weill a eu l’instinct de les écrire aisées, pourvu qu’on ait du style, et du ressenti, et les Comédiens Français s’y montrent exceptionnels, chacun selon ses moyens vocaux. La Mme Peachum d’anthologie par Véronique Vella, la Jenny caressante d’Elsa Lepoivre, la Polly ravageuse de Marie Oppert, sont majeures, comme le Macheath de Birane Ba, aussi hautain que séduisant, ou le Tiger Brown de Benjamin Lavernhe, longiligne et rassurant. Ils happent la scène. Moins efficace, faute d’organe bien projeté, même au micro, le Jonathan Peachum de Christian Hecq, assurément plus cabotin que de besoin ! Chapeau à tous ! On ne s’inquiétait d’ailleurs pas pour leurs incarnations parlées. Ils savent faire (et là Hecq reprend le dessus, avec talent) et certains moments de mécanique théâtrale sont si bien rodés qu’ils sont irrésistibles.

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Une mise en scène maladroite

Mais partout ailleurs, c’est Ostermeier qui s’est égaré. Son spectacle, trop propre pour des bas-fonds (ça une écurie ?), pas assez glitter and glamour pour du cabaret (voyez la référence Wilson au Berliner Ensemble), réglé au millimètre sur une scène désastreusement trop large, trop vide, patine, s’empêtre de longueurs assassines, de maladresses – ces micros alignés en bord de fosse qui tuent les mouvements –, de pauvreté visuelle (des références au muet, à Malevitch, chez Peachum ! En prison !), avec ce fond uniformément noir annihilant… Sinistre. Le rythme qui, avant, après, fuse de la fosse, se décompose. Tout paraît long, appuyé, paralysé. Sans joie, ni complicité.

On a donc assisté à deux spectacles imbriqués, l’un sans vrai ressort, l’autre mis en mouvement par un chef d’orchestre maître du temps et de sa dynamique, un rien trop rigide parfois – un peu plus de déhanché canaille, de liberté ne messiérait pas, mais la scène au-dessus est si pernicieuse. Il sauve, avec un orchestre pétillant et des acteurs-chanteurs formidables, la soirée du désastre global. Espérons que sur la scène du Théâtre Français, un vrai resserrement s’opérera. Il est indispensable pour la survie du spectacle.

Aix-en-Provence, Théâtre de l’Archevêché, le 12 juillet

Crédit photo : Jean-Louis Fernandez

Pour en savoir plus : consulter la page dédiée à cette production sur le site du Festival d’Aix-en-Provence.