Un Don Giovanni revu comme une explosion de conflits familiaux jamais pacifiés, une Carmen traitée comme une psychothérapie : pouvait-on attendre de Dmitri Tcherniakov autre chose qu’un dynamitage de Così fan tutte, l’œuvre la plus moderne de Mozart et Da Ponte, puisqu’elle nous interroge sur les relations de couples, d’hier et d’aujourd’hui ? Assurément, on a été servi.
Nous voici donc dans un appartement au design épuré, antre d’un vieux couple, Alfonso et Despina, qui se déchirent jusqu’à la violence physique, ne se retrouvant – leur métier – que pour conduire en les malmenant d’autres couples au jeu pervers de la remise en cause personnelle. Tout ce Così sera une analyse au scalpel de ce qui reste de ces couples, de leur usure, de leur encore possible survie, à travers une thérapie par l’échangisme. Fiordiligi, Dorabella, Ferrando, Guglielmo seront donc murs, désabusés, mais encore prêts à de possibles retrouvailles, en toute connaissance de cause – une façon de régler les problèmes de crédibilité du déguisement que pose l’œuvre. Nous attendrons, comme eux, la solution, que le Russe, si pessimiste, nous refusera, bien entendu.

Crédit photo : Monika Rittershaus
Au lieu d’un rabibochage lucide, ce sera l’échec absolu, et la terreur : Despina abattra Alfonso d’une décharge de fusil, gardant en réserve les quatre cobayes, sans qu’on sache quel sera leur destin.
Déjà perturbant pendant toute la durée de la représentation, mâtinée, ô subterfuge, d’un humour constant, le malaise finit en dévastation, dont on n’est pas près de se remettre. Parce que ce jeu piégé, révélateur, n’étant plus simple jeu, mais très réaliste mise en danger, diablement menée à partir du texte, n’hésite pas à distordre le discours musical. Et ce qu’on finit par admirer le plus, malgré une gène effective – un Così fragilisé par un chant défait – c’est le choix perturbant de chanteurs sur le déclin, prêts à se battre avec leur voix – en cela, ils sont admirables, car mis à nu, offerts à la critique préformatée de l’indispensable perfection du chant mozartien.

Crédit photo : Monika Rittershaus
Agneta Eichenholz, Claudia Mahnke, Rainer Trost, le plus exposé, Russell Braun, Georg Nigl, Nicole Chevalier se confrontent à leur gloire passée (et qu’ils sont vrais ainsi dans leur fragilité sans fard), comme les Balthasar Neumann à leur réputation (un des ensembles baroques les plus vivifiants qu’on sache) en jouant cru, gris, terne, méconnaissables. Chapeau à Thomas Hengelbrock d’avoir si bien accepté la cohérence.
La question saugrenue « a-t-on aimé ou détesté ? » ne se pose même plus. On a croisé autrement une œuvre adorée, que d’aucuns déjà — Michael Hanneke en dernier — nous ont appris à creuser au-delà de la légèreté. On y a découvert une violence jamais imaginée, une désespérance absolue, qui ne laissent pas indemne. Certes, il faut connaître son Così pour comprendre, cela fait un peu happy few cultivé (on est en festival, après tout !). Élitiste, donc. Discutable, parce qu’expérimental, assurément. Mais fracassant d’abord.
Festival d’Aix-en-Provence, théâtre de l’Archevêché, le 11 juillet
Crédit photo : Monika Rittershaus
Pour en savoir plus :
- Consulter la page dédiée à cette production sur le site du Festival d’Aix-en-Provence.
- Lire notre compte rendu de The Faggots & Their Friends Between Revolutions donné à Aix cette saison.