Dans la fièvre paroxystique qu’est le Boléro de Maurice Béjart, Amandine Albisson joue la sensualité sauvage.

La reprise à l’Opéra de Paris du Boléro, pièce mythique créée en 1961 par Maurice Béjart sur la partition crescendo de Maurice Ravel, le prouve une fois encore : cette œuvre intemporelle de seize minutes est, plus qu’un ballet, une transe collective, un orgasme artistique qui plonge danseurs et spectateurs dans une même catharsis. Et pour la (ou le) soliste, un rite de passage, une consécration.

Cela commence dans le noir, lorsque l’orchestre entame doucement la litanie hypnotique de Ravel. Une main surgit dans un rayon de lumière, puis la seconde, puis les bras, puis le corps apparaît, s’anime, et se met à pulser au centre de la table rouge géante, entouré par quarante hommes tapis dans la pénombre. À mesure que la phrase mélodique se répète, que la tonalité s’enrichit d’un nouvel instrument, la soliste amplifie ses saccades, ses ondulations, attire les hommes qui, un à un, entrent dans la danse à l’unisson.

Maurice Béjart : Boléro
Paris — Opéra Bastille. Le 9 mai
Crédit photo : Julien Benhamou/OnP

L’osmose est totale entre cette partition démoniaque et les oscillations des danseurs qui en sont traversés. C’est maintenant un torrent paroxystique qui gronde, charriant une excitation inexorable. Est-elle la proie offerte à des mâles en rut, la victime consentante d’un rituel ? « Le Boléro est ce qu’en font les danseurs, m’avait dit Béjart. Ce qui est merveilleux, c’est de révéler l’être à l’intérieur du danseur. Une chorégraphie se fait à deux, comme l’amour. Un pas n’existe pas en dehors du corps qui l’exécute. L’amour n’existe pas en dehors de la personne que l’on aime. »

Et je me souviens de l’émotion intense de l’interprète d’alors, Bernice Coppieters, bouleversée de se retrouver face au maître. Sur scène, l’extraterrestre Sylvie Guillem, magistrale dans le Boléro, en donnait une version rebelle. Nicolas le Riche, lui, vibrait en chef de gang sacrificiel. Ce soir-là, à l’Opéra Bastille, en final d’un excellent programme Béjart comprenant L’Oiseau de feu et Le Chant du compagnon errant, Amandine Albisson a joué le consentement assumé jusqu’au paroxysme, un choc ressenti par les spectateurs, sonnés, épuisés eux-aussi par l’épreuve, et irrémédiablement conquis.

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