Sortie de crise, créations, reprises, commandes : l’actuel directeur de l’opéra comique fait un point d’étape avant de quitter ses fonctions pour prendre la direction de la philharmonie de Paris en novembre prochain.
Comment appréhendez-vous la sortie de crise ?
Nous sommes en activité depuis le mois d’avril, nous avons presque accompli tous les projets programmés. Nous venons de filmer Le Voyage dans la Lune d’Offenbach avec la Maîtrise populaire et Laurent Pelly, et commençons les répétitions d’Orfeo avec Jordi Savall et Pauline Bayle. L’activité se poursuit donc, mais cette fois-ci avec l’espoir d’un retour du public salle Favart.
Comment se poursuivra votre saison ?
Après l’Orfeo, viendra Fidelio mis en scène par Cyril Teste. Plus tard, Roméo et Juliette de Gounod bénéficiera d’une mise en scène écoresponsable, puisqu’elle réutilisera les décors du drame de Shakespeare, dont s’inspire Gounod, réalisés pour la production d’Éric Ruf à la Comédie française. Les scénographies étaient compatibles, même si les dramaturgies portent des différences. Cette expérience, peu tentée je crois, présente un double intérêt économique et artistique.

Crédit photo : Operacomique
Au Français, le metteur en scène choisit généralement les comédiens. Comment procéderez-vous avec ce Roméo ?
Nous cultivons depuis plusieurs années un esprit de troupe à l’Opéra Comique, qui s’étend aux metteurs en scène et chefs d’orchestre. Nous pouvons nous le permettre car nous ne faisons pas venir de grandes stars internationales. Éric Ruf n’a pas choisi les chanteurs, mais il les connaît, c’est une des conditions de l’engouement pour ce projet. Ce lien préalable nous permet de gagner quatre jours à chaque nouvelle production ; la méthode de travail repose sur la sympathie des uns pour les autres, et sur les échanges libres de points de vue.
Vous avez également convaincu Jean Echenoz d’écrire son premier livret d’opéra, que Philippe Hersant mettra en musique. Expliquez-nous.
J’ai d’abord commandé à Jean Echenoz un sujet libre. Grand lecteur de ses œuvres, j’y percevais des trajectoires épiques, avec beaucoup d’humour et de tragique. Et puis, l’adaptation qu’il m’a proposée de son roman Des éclairs en livret d’opéra m’a semblé tout à fait cohérente, c’est un bijou sur la vie de Nikola Tesla, d’un haut potentiel dramatique. De surcroît, l’Opéra Comique a été le premier opéra équipé d’électricité ! J’ai contacté Philippe Hersant, que l’on n’entend pas suffisamment à Paris. La complicité entre les deux a été immédiate.
En général, le compositeur est à l’origine du projet, avant le librettiste !
Oui, et il arrive même que le compositeur vienne avec son librettiste, sa proposition de metteur en scène, de chef et de chanteurs… À l’inverse de ce qui se fait habituellement, nous avons pris le livret comme point de départ, dans une démarche similaire à celle de L’Inondation de Joël Pommerat et Francesco Filidei. Nous avons développé un seul point de vue vertical qui permet un point de cristallisation beaucoup plus fort.
La création prend une place importante à l’Opéra Comique. Représente-t-elle une difficulté ?
La création contemporaine est une tradition de trois cents ans à l’Opéra Comique, quelque trois mille créations y ont vu le jour, et non des moindres, Carmen, Louise, Pelléas… Il ne faut pas en avoir peur ! Nous en faisons moins qu’avant, mais j’essaye de maintenir un ratio de deux et demi sur sept ou huit productions par an. Trois créations sont en cours : une co-commande internationale faite à Missy Mazzoli, Breaking the Waves, qui circulera entre Édimbourg, New York et Paris. Macbeth Underworld de Dusapin et Thomas Jolly sera proposé en 2023. Et une dernière pour la Maîtrise populaire a été passée auprès d’Isabelle Aboulker.
Quel bilan dressez-vous de vos années passées à l’Opéra Comique ?
Il y a eu deux périodes. La première avec Jérôme Deschamps dont j’ai été l’adjoint avant d’être aux commandes en 2015. Ces années ont été fondamentales pour restaurer l’identité lyrique attachée au genre français qui s’était perdue, faute de moyens et de ligne directrice imposée par les tutelles. J’ai ensuite eu l’ambition de l’ouvrir pour gagner de nouveaux publics à de nouveaux metteurs en scène, pour que les jeunes générations s’approprient le répertoire, et qu’il voyage hors de France. Nous avons multiplié les coproductions et les tournées à l’international par quatre, ce qui a permis d’augmenter significativement le budget – notre modèle économique repose largement dessus aujourd’hui. Certaines productions ambitieuses ont marqué : le premier spectacle de 2022 sera la reprise d’Hamlet d’Ambroise Thomas par Cyril Teste et Louis Langrée dans la distribution de 2018 dont le DVD vient d’être primé par les International Opera Awards comme meilleur enregistrement de l’année. Ce spectacle voyage et devient identitaire de l’Opéra Comique. Nous progressons avec de jeunes artistes français en développant une ouverture sur les jeunes publics. La Maîtrise populaire que dirige Sarah Koné, constituée d’enfants issus de zones REP et REP+ à 50 %, est un grand succès également. Le travail réalisé en peu de temps est incroyable, nous en sommes très fiers. L’Opéra Comique a aujourd’hui imposé sa marque avec une reconnaissance internationale, et un fonds de roulement positif. Nous avons inversé la tendance en installant une sécurité financière qui n’existait pas auparavant.
Avez-vous songé à reprendre la production d’Atys de Jean-Marie Villégier ?
Je l’ai envisagé, mais à un moment où ce n’était pas possible pour Jean-Marie Villégier. J’ai laissé filer l’idée qui n’est pas revenue ensuite. C’est une des productions emblématiques de l’Opéra Comique ; j’écris dessus en ce moment – entre autres choses – pour évoquer la manière dont nous l’avons remontée en 2011 (25 ans après), et pourquoi nous l’avons fait. C’est la plus ancienne production dont nous disposons, et ce n’est pas la moindre !
Vous annoncerez en septembre la saison 2022 avant de quitter l’Opéra Comique à l’automne. Êtes-vous engagé dans la nomination de votre successeur ?
Je ne le souhaite pas, ce n’est pas mon rôle. Je veux en revanche préserver le plus possible le travail qui a été accompli dans cette maison avec les équipes, pour donner du sens dans la continuité. Nos institutions publiques ne doivent pas souffrir des changements de directeur.
Quand allez-vous communiquer sur votre nomination à la Philharmonie ?
J’espère le plus tard possible, et à bon escient. J’ai une mission à accomplir à l’Opéra Comique, et Laurent Bayle un mandat à terminer jusqu’à l’inauguration de la Philharmonie des enfants qui aura lieu à l’automne. Je suis très heureux de cette nomination, et viens avec beaucoup d’empathie mais aussi de nouvelles idées.
Propos recueillis par Aude Giger et Jérémie Rousseau