Le pianiste Nicolas Namoradze tire le compositeur britannique de l’oubli et met ses fragments et études admirablement en valeur.

York Bowen
(1884-1961)
Fragments de Hans Andersen.
Deux Études de concert.
Douze Études pour piano

Nicolas Namoradze (piano)
Hyperion CDA68303. 2019. 1 h07

Une technique éblouissante au service d’un instinct poétique très sûr, une exubérance juvénile se muant, si besoin est, en tendre rêverie, une extrême précision capable de faire saillir les détails dans les accélérations les plus vertigineuses, un timbre brillant et sonore sachant s’arrondir en chant portamento pour les effusions lyriques : le pianiste et compositeur Nicolas Namoradze s’impose comme l’interprète idéal de cette musique élégante jusqu’au dandysme, alliant panache, lyrisme, grâce et humour avec le naturel et la retenue d’un authentique gentleman.

York Bowen, le « Rachmaninov anglais »

Salué par Saint-Saëns, avec qui sa musique montre d’occasionnelles affinités, comme « le plus remarquable des jeunes compositeurs britanniques », York Bowen se signala comme l’une des figures centrales du piano anglais (le premier à enregistrer le Concerto n° 4 de Beethoven, en 1925), mais gagna également ses lauriers en tant que corniste et altiste de talent. Compositeur resté fidèle à la tonalité et au romantisme de ses débuts, il fit figure de conservateur attardé à compter des années 1920, fut considéré comme le « Rachmaninov anglais » et tomba dans l’oubli. Il s’était pourtant forgé une langue musicale personnelle, dans le sillage de Chopin, Delius, Tchaïkovski et Strauss, magnifiquement mise en valeur par une parfaite commande des ressources du piano, ce dont témoigne un vaste corpus d’œuvres qui couvre un champ d’expression très large.

À la fois narratifs et descriptifs, les Fragments de Hans Andersen, dix brefs tableaux musicaux d’où la virtuosité n’est pas absente, juxtaposent féerie, tendresse, humour et fantastique dans un esprit voisin des Préludes de Debussy et dans un langage proche de Grieg et de MacDowell. Namoradze y rivalise d’esprit malicieux et de virtuosité incisive avec l’auteur qui en enregistra deux titres en 1926 (réédition APR, 2 CD).

Études monuments

À l’autre extrémité, les Études de concert sont deux monuments de virtuosité transcendante dont l’exubérance mélodique et le carillonnement exultant sont admirablement mis en valeur. Œuvre maîtresse, enfin, que les douze Études pour piano, chacune approfondissant un aspect de la technique d’exécution en rapport avec l’enseignement du maître bien aimé Tobias Matthay, dédicataire du recueil : « Rotation des poignets », « Glissando », etc. À l’instar de Chopin ou de Debussy, Bowen sublime ces questions rébarbatives et les sertit de musique si vraie, si inspirée et si poétique que l’on est tenté d’emprunter à Rachmaninov le titre d’Études-Tableaux, d’autant plus que Namoradze met en valeur leurs somptueux coloris avec une conviction et une intelligence attestant de sa profonde empathie avec l’auteur.

Même si passent ici et là, en arrière-plan, les ombres de Chopin, Mendelssohn, Liszt et Debussy, ce chef-d’œuvre place Bowen au premier rang de la littérature de piano, et pas seulement outre-Manche! Les exceptionnelles qualités de sa musique et de son interprète justifieraient que Hyperion consacre plusieurs disques (concertos, sonates, œuvres pour violon, pour alto) à ce compositeur à découvrir.