Projets, budgets, programmes à destination des jeunes… en cette rentrée, Michel Orier, directeur de la musique et de la création de radio france fait le point.

Michel Orier

Michel Orier © Christophe Abramowitz/Radio France

Comment se prépare la rentrée à Radio France ?

Le public est très prudent après les nombreuses annulations de concerts… Cela se ressent sur les abonnements et les achats, qui se font à la dernière minute. Mais nous le retrouverons à mesure que la situation se stabilisera.

Quelle est votre position et celle de Radio France à l’égard du passe sanitaire ?

Je ne vois pas comment assurer un retour à la normale sans effort collectif. Le passe représente des surcoûts et des contraintes supplémentaires. Il est pour autant également l’assurance de retrouver une programmation normale dès la rentrée, avec des jauges pleines. Nous avons vécu des heures difficiles… Toute amélioration sur le plan sanitaire se gagne au moyen d’une restriction des libertés, certes, mais il n’y a pas d’autre solution.

Quelle est la tonalité générale de la saison prochaine ?

Cette nouvelle saison vise l’émerveillement autant que la curiosité. Les formations ont joué pour la radio pendant le confinement – nous n’avons pas trop de reports à programmer. C’est une grande liberté qui nous permet de poursuivre le travail sur les intégrales (notamment les Concertos de Chostakovitch avec le Philhar) et sur les répertoires en profitant des anniversaires : Saint-Saëns pour le National ou Xenakis avec l’ensemble de nos formations. Nous continuons également de faire évoluer la forme du concert avec « Les visiteurs du National », l’approche « libérée » du triptyque ouverture-concerto–symphonie que propose le Philhar, ou encore la « Chorus Line » du Chœur.

Nous sommes intégralement producteurs de nos concerts et pouvons ainsi rêver nos programmations sans être tributaires de tournées conçues par d’autres. C’est un privilège. Le National est très orienté vers la musique française, il le sera de plus en plus. Le Philhar, pour sa part, travaille beaucoup l’articulation entre musique moderne et création contemporaine. Je suis très content d’accueillir une série de compositeurs qui dirigeront leurs propres œuvres : George Benjamin, Thomas Adès, Bruno Mantovani… Nous mettrons également l’accent sur nos artistes en résidence : Sol Gabetta, Barbara Hannigan, Alexandre Kantorow…

Comment s’articule votre travail avec celui des deux Orchestres, du Chœur et de la Maîtrise ?

C’est un long travail de composition à plusieurs voix… En effet, les directeurs musicaux des quatre formations, délégués généraux, représentants des musiciens, du département de la création et France Musique. Cela fait beaucoup de talents à mettre en œuvre, et à accorder le cas échéant. Mon rôle est de fixer le cap, de faire apparaître les lignes de force et de créer la maïeutique nécessaire à la réalisation d’une saison cohérente.

Nous veillons à nous appuyer toujours sur le désir des artistes – le dialogue est primordial. Il faut trouver le chemin de crête entre l’ouverture sur des esthétiques populaires et l’exigence de partitions plus « savantes ». L’apparition de la brochure de saison au terme de ce travail est toujours un moment très fort.

Pour une même série, les formations ne donnent qu’un seul concert. Avez-vous songé à doubler les représentations ?

Nous développons cela avec « Les visiteurs du National ». Le Grand Tour du National reprend également des concerts qui ont déjà été présentés. À la Maison de la Radio, nous adorerions pouvoir doubler systématiquement nos concerts, mais nous en proposons déjà 300 par an. Il y a des problèmes d’espace et de public.

Disposez-vous des mêmes ressources financières pour cette saison que pour les précédentes ?

Nous avons sauvegardé nos moyens et n’avons pas de problème budgétaire. C’est d’autant plus important qu’il faut absolument disposer des capacités nécessaires pour infuser notre action. Le volet digital du groupe est un levier important ; nous sommes en train de le développer avec les musiciens et musiciennes des formations.

Avez-vous des stratégies pour certains répertoires ? Longtemps, le festival Présences a été gratuit…

Toutes les études ont montré que la gratuité n’élargit pas les publics mais aboutit à une surconsommation de publics qui ont déjà l’habitude d’aller au spectacle. Le festival Présences a néanmoins une tarification attractive. Les stratégies tarifaires s’orientent vers certains types de publics, le passe jeune à 28 euros pour quatre concerts notamment. Il y a un effort à faire sur les jeunes générations pour leur permettre d’accéder à cette musique-là.

La politique pour les jeunes a-t-elle porté ses fruits depuis sa mise en place ?

Elle a permis un rajeunissement de cinq ans de la moyenne d’âge du public par rapport à la saison 2015-2016. Le sujet principal est de savoir comment une musique qui existe depuis plusieurs centaines d’années peut encore avoir un sens dans le quotidien des jeunes générations. Fip a remis de la musique classique dans ses programmes. Cela peut paraître anecdotique, mais c’est très important. Il faut veiller à ce que la musique classique ne disparaisse pas des antennes généralistes. Le débat sur la notion de patrimoine musical appelle à beaucoup de vigilance. Le répertoire dit classique n’est pas universel mais témoigne de l’histoire de la musique occidentale.

Quelle est votre position dans ce débat ?

La notion d’universalité derrière laquelle s’abritait la musique savante occidentale est plus complexe à gérer aujourd’hui. Les musiques d’hier ou celles qui relèvent de la création sont un legs essentiel au patrimoine mondial, mais on ne peut prétendre faire société à cette échelle en masquant tel ou tel aspect des cultures des peuples. Il nous faut continuer à nous battre pour que ces musiques résonnent dans le monde d’aujourd’hui.

Il faut par ailleurs faire preuve d’ouverture et d’humilité pour éviter les positions de surplomb vis-à-vis des autres cultures. De même que nombre de compositrices ont été longtemps ignorées, la concentration des moyens et des attentions politiques ou institutionnelles sur la musique classique a pu faire croire à une volonté hégémonique qui aujourd’hui dessert cette ambition universelle. Je crois beaucoup à la capacité des jeunes générations d’artistes pour aborder ces questions et trouver les voies qui mêleront l’exigence artistique et la générosité, l’intégration et la curiosité.

Propos recueillis par Aude Giger et Jérémie Rousseau

Pour plus d’informations :