Le baroque est mis à l’honneur, bien sûr, et avec art, mais le label français sort de sa zone de confort et pioche ailleurs avec bonheur.
Treize CHOCS. De Gesualdo à Berio, de la voix au piano, il y a treize raisons de dire bravo. Bravo pour la diversité du répertoire et les artistes choisis pour en assurer la visite. Il y a bien sûr des rencontres attendues et fécondes comme celle des Arts Florissants, conduits par Paul Agnew, avec les madrigaux de Gesualdo où Jorge Morales perçoit « un travail poussé sur la déclamation du texte et sur la restitution [de ses] effets dramatiques ». Loin de ses musiciens, William Christie a retrouvé son clavecin, le temps d’un riche dialogue avec le violon éloquent de Théotime Langlois de Swarte autour de sonates de Senaillé et Leclair. Autres sonates pour violon et clavier et même évidence dans ce troisième volume de l’intégrale Mozart entreprise par le duo Isabelle Faust et Alexander Melnikov qui, selon Michel Le Naour, « rivalise d’équilibre, de pureté et de vitalité rythmique ».
Orienté vers la découverte de la musique baroque, Harmonia Mundi, créé en 1958 par Bernard Coutaz et dont Eva Coutaz, décédée en janvier dernier à l’âge de 77 ans accompagnait le dévelopement, soutient en toute logique Marc Mauillon dans son entreprise en faveur d’Henriette de Coligny (1623-1673), comtesse de la Suze, dont les vers ont été mis en musique par Bacilly, Du Mont, Lambert et Le Camus. Baroque à nouveau, mais pas inconnu puisque l’éditeur présente un troisième enregistrement de la fameuse cantate Membra Jesu nostri de Buxtehude. Sébastien Daucé et l’Ensemble Correspondances s’y distinguent par une beauté musicale saisissante et un rare talent à restituer l’ambiguïté de cette musique qui oscille entre douceur et douleur.
Voyage dans le temps
La musique ancienne ou méconnue n’exclut pas la romantique. Celle, par exemple, des Sonates pour piano nos 30 à 32 de Beethoven par Nikolaï Lugansky, « de ceux qui lisent précisément la lettre des partitions et en décryptent le sens pour nous le transmettre dans l’instant sans effets », considère Alain Lompech. Mais le lien avec l’histoire n’est jamais loin. Comme Beethoven, Brahms connaissait les compositeurs du passé. Trois disques couronnés lui sont consacrés. Le dernier signale, dans ce même numéro (p. 92), l’interprétation aboutie d’Adam Laloum de la Sonate n° 3 et des Fantaisies, op. 116. Alain Lompech y entend un « grand disque d’un pianiste majeur de notre temps ». Dans les deux Sonates pour violoncelle et piano, Emmanuelle Bertrand et Pascal Amoyel partagent une même « communion des idées » et « unité du geste », comme l’écrit Fabienne Bouvet qui s’enthousiasme aussi pour Antoine Tamestit dont l’alto Stradivarius évoque une voix « envoûtante et sensuelle » qui ondoie au-dessus du Bechstein de 1899 « feutré, rêveur » de Cédric Tiberghien.
Le romantisme revisité par les instruments de son temps, voilà également ce qui a guidé Alain Planès, en choisissant, pour les Nocturnes de Chopin, un piano Pleyel de 1836. « Tout chante divinement avec une vocalité dont la sinuosité, les éclairages et articulations sont d’une variété infinie », précise Alain Lompech. Autre romantique, Schumann, et autre fidèle du label d’Arles, le Trio Wanderer. « Sans le moindre pathos, entrelaçant leurs lignes, chantant, combattant, s’apaisant » dans les trois trios, il se montre admirable « d’équilibre, de transparence et d’homogénéité » dans le Quatuor et le Quintette avec piano, dixit Fabienne Bouvet.
De Schumann on passe à Mahler, celui des lieder que la soprano allemande Christiane Karg et Malcolm Martineau « semblent nous faire entendre […] pour la première fois. […] Rien qui ne pèse ni ne pose à la voix comme au piano », constate Alexandra Genin.
Mahler aurait « à sa charge toute l’histoire de la musique », à en croire Berio. Le « Berio To Sing » semble procéder de même tant est large son horizon dessiné par Lucile Richardot, Geoffroy Jourdain et ses Cris de Paris, entre une Sequenza III dont certaines sections « chantées de manière particulièrement douloureuse avivent le souvenir du lamento » et des Folk Songs dont la lecture « renforce la finesse, l’agrégation entre la voix et l’ensemble », estime Jérémie Bigorie.
Autant de réussite de Gesualdo à Berio, est-ce là l’harmonie du monde ?