Gounod, Gould, Vannier, ainsi va l’œuvre de Bach, souverainement populaire. La chanteuse belge Maurane s’y attele.
Quel que soit son niveau, tout pianiste a forcément, à un moment ou un autre, eu affaire avec lui : le Prélude en do majeur BWV 846 de Jean-Sébastien Bach. Pilier du Clavier bien tempéré – daté de 1722 –, ce monument de perfection, qui repose sur une suite d’accords arpégés, s’est imposé pour ses qualités rythmiques ou hamoniques intrinsèques, ainsi que pour sa capacité à servir de base à un soliste. Et ce, aussi bien pour une improvisation que pour une partition bel et bien écrite. Un chef-d’œuvre peut en entraîner un autre : en 1859, Charles Gounod propose un arrangement du Prélude, en ajoutant une voix de soprano, offrant un Ave Maria qui compte aujourd’hui parmi les plus célèbres. Si d’autres compositeurs rendirent hommage à ce classique de Bach (Chopin, Villa-Lobos, Chostakovitch…), la chanson française n’hésita pas non plus à s’en inspirer. Et de manière très explicite.
Ainsi, en 1991, la chanteuse belge Maurane accepta un défi lancé par le roi de la variété Jean-Claude Vannier (fidèle collaborateur de Serge Gainsbourg, Michel Jonasz, Julien Clerc, Catherine Lara…) : chanter ce qui sera l’un des tubes les plus atypiques et les moins « branchés » des années 1990, à savoir Sur un prélude de Bach. La petite histoire (ou la rumeur) voudrait que cette fille d’une pianiste et d’un directeur de conservatoire (par ailleurs compositeur) ait d’abord hurlé au sacrilège. Avant de se dire : chiche.
Intonations jazz
Le piano commence, Maurane allonge les premiers mots : « Lorsque j’entends ce prélude de Bach / Par Glenn Gould ma raison s’envole. » Le do initial a laissé place au mi bémol – puis au si bémol. « Vers le port du Havre et des baraques / Et les cargos lourds que l’on rafistole. » Au fil des mesures, ce titre mélancolique – dont les rimes ne sont toutefois pas exemptes de maladresses (« J’ai pris les remorqueurs pour des gondoles / Et moi, moi je traîne ma casserole ») – prend de plus en plus de libertés, introduisant des cordes et de légères intonations jazz. Avant de faire référence à d’autres maestros : « J’donnerais Ray Charles, Mozart en vrac / La vie en rose, le rock’n’roll / Tous ces bémols et tous ces couacs, eh, oh / Pour Glenn Gould dans c’prélude de Bach. » Ce cri d’amour à la musique, finalement modeste, sincère et moins pompeux qu’il n’y paraît, trouva une expression encore plus flagrante en 1999, dans l’album « Maurane à l’Olympia » avec le Concerto pour Arnould – hommage au jazzman Arnould Massart sur fond du Concerto n° 7 en sol mineur de Bach. Dans lequel l’interprète de Toutes les mamas déclare, non sans ironie : « J’aime tellement Jean-Sébastien que je m’égare. » Mais le plaisir de la musique n’est-il pas, par essence, celui de se perdre ?

Crédit photo : Eddy Berthier