Le deux cent cinquantième anniversaire de la naissance de Beethoven semble avoir encouragé les producteurs à s’aventurer dans les zones de son catalogue les moins fréquentées, notamment celles qui convoquent la flûte. Michel Debost et Christian Ivaldi avaient rappelé, lors du bicentenaire de la naissance du compositeur, la diversité de ce répertoire succinct en enregistrant une intégrale des six opus avec flûte en 1970 et 1972 (Warner). La voie était tracée depuis longtemps, Adolphe Hennebains ayant enregistré dès 1907 (Gramophone-La Voix de son maître) la Sérénade op. 25 pour flûte, violon et alto. Elle ira en s’élargissant et en se diversifiant : en 2020, Emmanuel Pahud, Daniel Barenboim et leurs partenaires (Warner. CHOC, Classica n°229) ont choisi d’associer à trois œuvres originales une transcription de sonate pour violon.

Deux sorties récentes associent le compositeur à son compatriote Friedrich Kuhlau à travers les flûtes romantiques et le pianoforte. La similitude s’arrête là, tant les interprétations restent opposées. Tami Krausz et Shuann Chai privilégient la vitalité et l’énergie, parfois excessive (le pianoforte dans le Rondo de Kuhlau) ; Anna Besson et Olga Pashchenko s’affirment dans la retenue et le raffinement, eux aussi parfois excessifs, notamment à la flûte, dans les épisodes requérant naturel et extériorisation (Fantaisie pastorale hongroise de Doppler et Airs nationaux de Beethoven).

Une grande justesse de caractère est atteinte pour les premières dans la Sérénade de Beethoven, très convaincante par ses timbres, sa jovialité, son articulation et ses heureuses surprises (silences d’articulation, son filé blanc du dernier mouvement). Le Caprice de Kuhlau apparaît dans son interprétation comme le maillon faible de l’ensemble et le Canon vocal de Beethoven sur un jeu de mots destiné à son ami (Kühl, nicht lau, c’est-à-dire « frais, pas tiède »), comme une heureuse et malicieuse insertion.

Du programme des secondes, on retiendra les envoûtantes Variations de Kuhlau appropriées au tempérament de la flûtiste, l’exceptionnel Rondo auvergnat d’Eugène Walckiers avec ses effets de cabrette à soufflet, la sensualité des Airs valaques de Franz Doppler et la pertinence des instruments utilisés (merveilleuse flûte Mangeant, c.1850). En revanche, la trop grande cérébralité de la Fantaisie pastorale hongroise de Doppler, au répertoire de tout flûtiste et très souvent enregistrée, souffre de la comparaison avec un grand nombre d’autres – pour n’en citer qu’une, celle d’Emmanuel Pahud et Jan Philip Schulze (Warner, 2018).

Si l’œuvre pour flûte de ce compositeur prolifique a été intégralement gravée par Claudi Arimany en dix volumes (Capriccio, 2017 et 2018), nous regrettons que l’œuvre de Walckiers souffre d’une incompréhensible absence au disque. Ce Rondo auvergnat est-il un appel aux producteurs pour une redécouverte attendue ?

« Kühl, nicht lau »
Sérénade pour flûte et piano.
Canon « Kühl, nicht lau »
WoO 191
+ Œuvres de Kuhlau

Tami Krausz (flûte),
Shuann Chai (pianoforte)

Ramée RAM 1903. 2019. 1h07

« Variations on Folk Songs »
Airs et variations op. 105 et 107
+ Œuvres de Doppler, Kuhlau
et Walckiers

Anna Besson (flûte),
Olga Pashchenko (pianoforte)

Alpha 639. 2019. 1h11