
« Lorin Maazel. The Complete Deutsche Grammophon Recordings »
Deutsche Grammophon 486 3243 (39 CD)
1957-1985
Oui, Lorin Maazel était un artiste qui pouvait se montrer narcissique et arrogant. Les anecdotes pullulent, souvent dévastatrices. Ainsi lorsque l’on remit au maestro le coffret de la réédition de ses premiers enregistrements en 2004, son seul commentaire fut : « Qu’est-ce que j’étais beau ! » On ne saurait dire quel commentaire aurait suscité la présente édition. Celle-ci se veut cette fois complète de tous les enregistrements réalisés pour Deutsche Grammophon. L’éditeur indique toutefois que quatre plages de l’album « Live in Vienna » n’ont pu être reprises pour des raisons contractuelles. En revanche, il ne donne aucune explication à l’absence du concert du Nouvel An de 2005 paru en son temps sous l’étiquette jaune. Il semblerait en fait que les droits de ce concert appartiennent désormais à Sony. L’autre bémol est que le nouveau texte de présentation de Tully Potter annoncé par l’éditeur n’est que la reprise de celui (excellent) du coffret paru en 2011 (même contenu discographique que celui de 2004), allongé de deux petits paragraphes mais perdant sa traduction française.
Les sortilèges de Dyonisos
Tout ceci n’empêche pas de faire son miel d’un ensemble exceptionnel. La période 1957-1965, la plus connue grâce aux coffrets susmentionnés, ne recèle pratiquement que des triomphes. Si l’on peut trouver l’Orchestre du RIAS de Berlin un peu gras pour Stravinsky, les camaïeux de la Symphonie de Franck sont rendus avec finesse. Quant aux disques Beethoven, Mendelssohn ou Schubert réalisés avec l’Orchestre philharmonique de Berlin, ils s’imposent pour leur balance cultivée et leur virtuosité souvent dionysiaque, et atteignent un idéal que Maazel ne retrouvera peut-être pas ensuite. Il n’est point besoin de présenter les Ravel enregistrés avec l’Orchestre national de France, tant leur esprit n’a pas perdu une ride. Moins connue, la captation à Paris également de The Young Person’s Guide to the Orchestra de Britten mêle la narration en anglais du chef, qui ne peut s’empêcher de se présenter à l’auditeur, à des indications données en français à l’orchestre.
La seconde période, s’étendant de 1979 à 1985, voit la balance orchestrale se déporter fréquemment en faveur des cuivres, un péché mignon très maazélien. Les Dvořák à Vienne en font les frais. En revanche, les Strauss, tous prénoms confondus, sont un régal, même si les œillades abondent lors des concerts du Nouvel An. À Berlin, les albums Zemlinsky, Berlioz et Tchaïkovski justifient sans peine leur formidable renommée. Le luxueux ensemble Rachmaninov stupéfait par sa clarté alliée à un engagement exceptionnel de l’orchestre. La Shéhérazade de Rimski-Korsakov, dernier disque réalisé à Berlin, quelques années avant l’échec cinglant dans la succession à Karajan, alterne entre une complaisance sonore certaine et une inspiration haute en couleurs, une parfaite illustration d’un maestro ivre de son intelligence et de son art.
Pour en savoir plus : retrouver cet article dans le CLASSICA n° 254, à commander en ligne ici.