Rentrée fracassante, sonore et visuelle, pour la nouvelle saison de l’Opéra de Lyon qui met à l’affiche la redoutable Femme sans ombre de Richard Strauss.

La femme sans ombre C: Bertrand Stofleth

Crédits Photos : Bertrand Stofleth

C’est une gageure de monter cette sorte de Flûte enchantée boostée au gigantisme wagnérien. En effet, comment montrer un personnage sans ombre, et surtout quelles voix distribuer dans ces quatre rôles auprès desquels le Ring semble un cycle de lieder, tant il y faut d’endurance pour dominer le tsunami orchestral ? Il est ici un peu réduit (80 musiciens) et, dès les premiers accords une certaine sécheresse surprend des oreilles habituées, pour une œuvre si rarement produite, aux seuls sortilèges studio des Solti, Sinopoli et Böhm. C’est l’incandescence de ce dernier qu’évoque vite la direction de Daniele Rustioni. Il fait rutiler les pupitres lyonnais, bassons et violoncelle en tête, sans oublier la douceur chambriste du quatuor enlaçant les émois tourmentés des couples. Barak (le très habité Josef Wagner) et son épouse à la scène, Ambur Braid, enfièvrent rapidement. La soprano canadienne, déjà acclamée à Lyon dans l’Irrelohe de Schreker (2022), séduit et bouleverse.

La femme sans ombre

La mise en scène de Mariusz Treliński évite le côté conte persan Jugendstil du livret pour en fouailler l’inconscient. À aucun moment Hofmannsthal et Strauss, ces contemporains de Freud, ne sortent trahis avec cette vision d’une femme riche et dépressive dont les épreuves vont être la rémission. Le décor, installé sur une tournette, montre tantôt un appartement chic avec salon d’hiver, tantôt le monde moche des techniciens de surface. Car cette Femme sans ombre donne aussi à voir l’affrontement et la perméabilité des classes sociales. Tout un jeu complexe de domination et de soumission que le dramaturge polonais restitue au cordeau. Puis l’action délaisse le prosaïque pour aborder un symbolisme qui évoque Homoki (Châtelet, 1992) et Bob Wilson (Bastille, 2002), les seules mises en scène française que l’on ait en mémoire concernant ce monstre lyrique du XXe siècle. L’Impératrice de Sara Jakubiak est toute en vaillance et tourments, et l’Empereur, le heldentenor Vincent Wolfsteiner, ne démérite pas malgré la fatigue du dernier acte. Quant à la Nourrice de Lindsay Ammann, sa présence en noire servante hitchcockienne envahit le plateau Et quel airain pour clore le final du deuxième acte ! Les seconds rôle, les chœurs et la maîtrise de l’Opéra de Lyon se montrent tout aussi vaillants. Ils sont justement célébrés par un public qui ne boude pas son plaisir et reste indifférent au récurrent débat sur les errances des mises en scènes d’opéra. Celle-ci, emplie de questionnements et de dévoilements inattendus, fait déjà date. Notamment pour son finale doux amer en forme de critique des joies de la maternité et de l’assignation faite aux femmes.

Pour plus d’informations : Opéra de Lyon