Le luthiste est ressuscité grâce au clavecin de Pierre Gallon qui réunit les tombeaux écrits à sa mémoire. Aussi inédit que réussi.

Le récital auquel nous convie Pierre Gallon évoque la figure de Charles Fleury de Blancrocher (ca. 1605-1652), célèbre luthiste ami de Froberger, hélas seulement connu pour les circonstances de son décès, à savoir une chute dans son escalier, et une seule pièce pour le luth dite « L’Offrande ». L’événement inspirera les meilleurs musiciens du temps sous la forme de tombeaux, hommages méditatifs d’un grand raffinement harmonique. Outre Louis Couperin et Johann Jakob Froberger, Pierre Gallon y joint ses propres transcriptions (depuis le luth) des suites de François Dufaut et du Tombeau de Denis Gaultier. Pour ce répertoire intime et précieux, deux instruments d’exception, l’un de Philippe Humeau, dans le style italien du second XVIIe siècle, et une copie du Tibaut de Toulouse de 1691 par Émile Jobin, admirablement captés par Philippe Vaidie et Mireille Faure (lire p.125), sont la voix idéale pour un répertoire qui fait volontiers alterner belle danse et mélancolie.

Avant tout un poète

Disposant d’un vocabulaire étendu et d’une technique d’une délicatesse infinie, Pierre Gallon est avant tout un poète. Quel abandon dans ces Larmes de Gaultier, quel mystère dans la Fantaisie de Louis Couperin dont le contrepoint devient ici douloureusement expressif et s’épanouit comme autant de fleurs sonores ! Et la douce mélancolie de l’Allemande faite à Paris de Froberger! Le balancement sensuel de la courante conduit à une sarabande qui, sous les doigts de Pierre Gallon, évoque déjà le Bach des Sonates et Partitas. La profondeur du traitement ornemental, l’autorité de la main gauche soutiennent un discours noble et persuasif qui atteint des sommets dans l’interrogatif Prélude en fa de Louis Couperin dont la partie mesurée fait valoir les la bémol implorants de son tempérament inégal. Enfin une Allemande grave jouée gravement (lentement), avec une véritable recherche de caractère !

« Blancrocher »
Œuvres de L. Couperin,
Froberger, Dufaut, Gaultier
et Blancrocher

Pierre Gallon (clavecin),
Diego Salamanca (luth)

Encelade ECL 1901. 2019. 1 h 18

Une dimension inédite

Le célèbre Tombeau du français à la mémoire de Blancrocher est au disque l’une des pièces les plus visitées depuis la renaissance du clavecin. Le claveciniste en propose une lecture fascinante en ajoutant une dimension inédite à la traditionnelle déploration dramatique. Le réconfort en souvenir des belles harmonies du compositeur disparu, une certaine tendresse prennent ici le pas sur l’habituel catalogue illustratif (chute, ascension vers les cieux). C’est supérieurement réalisé et d’une infinie tristesse. La fameuse Offrande de Blancrocher jouée au luth par Diego Salamanca clôt avec discrétion un projet touché par la grâce.