Le ténor et son ensemble I Gemelli ont fait bon voyage et poursuivent leur exploration des opéras de Monteverdi avec Le Retour d’Ulysse dans sa patrie. Incarnant le roi d’Ithaque, Emiliano Gonzalez Toro peut monter le spectacle sans avoir besoin de le diriger.

Emiliano Gonzalez. Crédit Photo : M. Novak
Le Retour d’Ulysse dans sa patrie est l’opéra le moins aimé de la trilogie Monteverdi. Pourquoi ?
L’Orfeo est une tragédie, quasiment un oratorio, tandis que Le Couronnement de Poppée s’inscrit complètement dans le registre de la comédie. Le Retour d’Ulysse mélange un peu les deux : c’est une tragi-comédie. Tous les personnages de la commedia dell’arte sont à l’intérieur avec la Prima Donna, les bouffons, les prétendants, les dieux qui rentrent sur scène… La diversité scénique n’a pas d’équivalent dans le genre au xviie siècle : le livret est certainement le meilleur dont disposa Monteverdi. Mais pour mettre en place cet opéra il faut trouver neuf excellents ténors. C’est compliqué et ça coûte horriblement cher. Le rôle de Pénélope se révèle également très difficile à distribuer. On cherche la perle rare avec une voix grave, mais aussi féminine, mature et très noble… Tous ces éléments se montrent difficiles à réunir –cela explique sans doute la place à part de cet ouvrage dans la trilogie.
Qu’est-ce que Le Retour d’Ulysse permet de comprendre du langage de Monteverdi ?
Monteverdi a fait de cet opéra une compilation complète de ses huit livres de madrigaux. On peut le lire comme une masterclasse du madrigalisme ! Le Retour d’Ulysse ne relevait pas d’une commande et Monteverdi n’avait plus rien à prouver. Il l’a alors composé pour son plaisir avec une liberté remarquable.
Quels sont les enjeux techniques du rôle d’Ulysse que vous interprétez ?
Ulysse se travestit tout au long de l’opéra: la difficulté ne réside pas dans l’ambitus ou la puissance, mais dans la capacité à donner une grande diversité de couleurs et beaucoup de relief au personnage. C’est le défi général de tous les chanteurs dans la musique italienne du xviie siècle, mais ce rôle est celui qui va le plus loin : il remporte la palme de la difficulté d’interprétation au niveau opératique !
Comment avez-vous défini l’instrumentation de la partition ?
Nous avons insisté sur l’écriture « madrigalesque ». On n’« interprète » pas mais on joue ce qui est écrit, sans chercher à montrer la psychologie des personnages : c’est le credo chez I Gemelli. L’instrumentation permet de souligner le caractère du texte : les trombones illustrent la noblesse de Neptune, les cornets accompagnent Jupiter… Les instruments choisis confèrent une signature à chaque personnage.
Vous ne dirigez pas pendant le spectacle. Pourquoi ce choix ?
D’un point de vue historique, ça n’a aucun sens de diriger de la musique italienne du xviie siècle car le « maestro » n’existait pas à l’époque. Les instrumentistes étaient sur la scène et il n’y avait pas besoin de ce relais. Il suffit de bien préparer les musiciens pendant les répétitions comme le fait un metteur en scène. J’indique les points de rencontre, les moments où l’on peut improviser, ceux où il faut faire attention… et on peut monter ainsi un opéra de trois heures sans le moindre pépin.
Vous enregistrez d’ailleurs toutes les voix des chanteurs en amont…!
C’est un conseil que m’a donné Ottavio Dantone lorsque je lui ai présenté mon projet d’I Gemelli avec Mathilde : « Pour que tu sois respecté par tes instrumentistes et tes chanteurs, tu dois être celui qui connaît le mieux la partition. » J’apprends tous les rôles par cœur et je les enregistre avec les indications de pulsation avant de les envoyer aux musiciens. Nous échangeons de manière individuelle pendant ce travail préparatoire et tout le monde arrive déjà prêt pour la première répétition. De son côté, Mathilde Etienne fournit les explications dramaturgiques, ce qu’elle attend du jeu, des interactions, des entrées et sorties sur scène…
Vous travaillez en binôme avec Mathilde Étienne qui est également votre femme. Quel est l’avantage d’avoir toujours ce même binôme ?
J’ai un bonus que beaucoup de chefs n’ont pas : une oreille externe qui nous fait gagner du temps et un alter ego qui travaille sur la dramaturgie, la cohérence générale. Sans elle, je me sentirais bien seul !
Ulysse remporte la palme de la difficulté d’interprétation au niveau opératique !
L’Odyssée d’Emiliano Gonzalez Toro
Le ténor et son ensemble I Gemeli ont fait bon voyage et poursuivent leur exploration des opéras de Monteverdi avec Le Retour d’Ulysse dans sa patrie.

Tragi-comédie à mi-chemin entre L’Orfeo et Le Couronnement de Poppée, Le Retour d’Ulysse est souvent présenté comme l’opéra le moins aimé de la trilogie Monteverdi. Emiliano Gonzalez Toro l’aborde pourtant avec délice. Sa tournée en compagnie d’I Gemelli vient couronner la parution d’un disque chez Gemelli Factory, son propre label. Le ténor et chef défend l’ouvrage qui l’occupe depuis plus de deux ans et demi : « Tous les personnages de la commedia dell’arte sont à l’intérieur avec la Prima Donna, les bouffons, les prétendants, les dieux qui rentrent sur scène… La diversité scénique n’a pas d’équivalent dans le genre au xviiesiècle – du point de vue de l’histoire, c’est certainement le plus bel opéra de Monteverdi.»
Mais pour le mettre en place, neuf excellents ténors doivent être recrutés –un véritable défi artistique et financier dont la récompense tient dans l’originalité de l’écriture qui s’offre tout au long de l’ouvrage. «Monteverdi a fait de cet opéra une compilation complète de ses huit livres de madrigaux. On peut le lire comme une masterclasse du madrigalisme!», s’enthousiasme Emiliano Gonzalez Toro. « Le Retour d’Ulysse n’était pas une commande, Monteverdi n’avait plus rien à prouver. » Associé à la distribution lyrique, le ténor suisse d’origine chilienne ne boude pas son plaisir à retrouver un rôle qui remporte « la palme de la difficulté d’interprétation ». Si l’ambitus ou la puissance ne représentent pas une difficulté particulière dans ce répertoire, tout le défi réside dans la capacité à conférer «∘une grande diversité de couleurs et beaucoup de relief » au personnage qui se travestit tout au long de l’opéra.
Soutien privilégié de la dramaturgie, l’instrumentation a été choisie pour souligner le caractère du texte et des personnages – un trombone pour la noblesse de Neptune ou des cornets pour Jupiter tels des signatures : « On n’“interprète” pas mais on joue ce qui est écrit, sans chercher à montrer la psychologie des personnages. C’est le credo chez I Gemelli ! » De la même manière, la direction sur scène est un anachronisme dont Emiliano Gonzalez Toro a souhaité se passer : « D’un point de vue historique, ça n’a aucun sens de diriger de la musique italienne du xviie siècle car le “maestro” n’existait pas à l’époque. Les instrumentistes étaient sur la scène et il n’y avait pas besoin de ce relais. » Cette décision s’accompagne d’une préparation très spécifique avec les chanteurs qui reçoivent des indications d’interprétation et l’enregistrement de leur partie complète dans la voix de leur « chef ». « C’est un conseil que m’a donné Ottavio Dantone lorsque je lui ai présenté mon projet d’I Gemelli : “Pour que tu sois respecté par tes instrumentistes et tes chanteurs, tu dois être celui qui connaît le mieux la partition” », nous confie ce dernier. « Nous échangeons de manière individuelle pendant ce travail préparatoire qui s’apparente à celui de la mise en scène, et tout le monde arrive déjà prêt pour la première répétition. » De son côté, Mathilde Étienne, binôme de choix d’Emiliano Gonzalez Toro, se charge de fournir les indications dramaturgiques. « J’ai un bonus qu’énormément de chefs n’ont pas : une oreille externe qui nous fait gagner du temps et un alter ego qui travaille sur la cohérence générale. Sans elle, je me sentirais bien seul ! »
Le Retour d’Ulysse n’était pas une commande, Monteverdi n’avait plus rien à prouver
Ça n’a aucun sens de diriger de la musique italienne du xviie○siècle car le “maestro” n’existait pas
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Le Retour d’Ulysse dans sa Patrie
Emiliano Gonzalez Toro et I Gemelli
Le Retour d’Ulysse dans sa Patrie
Emiliano Gonzalez Toro et I Gemelli