Les Lisztomanias et Piano aux Jacobins nous ont offert la stature hors norme du jeune Alexandre Kantorow et l’irrévocable charme d’Elisabeth Leonskaja.
Si, au mois d’août, vous étiez encore à Nohant, nous pourrions réaliser notre ancien projet de festival à Châteauroux », écrivait Liszt à George Sand le 30 mai 1844. On doit à la pugnacité de Jean-Yves Clément d’avoir donné réalité à ce qui aurait pu demeurer au stade du vœu pieux à travers les « rencontres internationales » des Lisztomanias. Point d’orgue des festivités de cette vingtième édition « dédiée à la jeune génération », le concert d’Alexandre Kantorow (photo) confirme la stature hors norme du pianiste français, avec un Deuxième Concerto de Liszt tour à tour décanté et fulgurant, d’une parfaite intégrité collective (se mettant aussitôt en retrait pour accompagner le beau solo de violoncelle) grâce à la direction de haute envergure d’Aziz Shokhakimov. Implacable maître des forges, le lauréat du Concours Tchaïkovski 2019 livre une Dante Sonate solidement charpentée et pourtant si personnelle dans l’articulation du matériel thématique. Le public est à genoux devant une telle débauche de talent ! La veille, Nathanaël Gouin aura triomphé de la redoutable transcription pour piano seul – de la plume de Georges Bizet – du Concerto en sol mineur de Saint-Saëns, avant de partager le clavier avec le facétieux Paul Lay pour un arrangement jazzy (en diable) de la Danse macabre. Autre piano-orchestre, celui d’Aurélien Pontier dans un superbe récital consacré aux paraphrases (domaine d’élection du jeune Liszt), où la matière opulente se voit éclairée de l’intérieur par un toucher lumineux ; du grand art. À tes 20 ans, cher Franz ! (Châteauroux, 16 et 17/10).

Elisabeth Leonskaja
(22 November 2012)
Photo : Julia Wesely / IMG Artists
Leonskaja aux Jacobins
Si la quarante-deuxième édition de Piano aux Jacobins a encore rassemblé un large public malgré les restrictions sanitaires, c’est que la passion qui anime ses deux parents, Catherine d’Argoubet et Paul-Arnaud Péjouan, n’a pas baissé d’un iota. Elisabeth Leonskaja (24/09) entre dans le cloître des Jacobins avec son mystérieux et chaleureux sourire aux lèvres. Ses bras dégringolent sur le clavier avec fracas, et les nôtres nous en tombent, mais nulle dureté dans la discrète et salzbourgeoise Sonate n° 6, K. 284. Ce Mozart-là n’est pas venu au monde pour rassurer, mais pour le tirer de sa torpeur. Lisa Leonskaja possède une sonorité à nulle autre pareille. Ce son vient des cloches. Puis Schubert arrive sans se faire annoncer avec ses trois Klavierstücke. Les Russes ont toujours eu la ligne directe du Grand Syphilitique. Richter, Volodos… Peut-être parce que l’immensité de l’espace russe s’accorde avec l’infini du temps schubertien. Enfin, la Troisième Sonate de Brahms. Encore des cloches. Elles sonnent à toute volée, de façon libre et aléatoire. On ne sait quelles couleurs vont s’affronter et quels accents vont s’entrechoquer ou miraculeusement se rencontrer. Un Debussy qui a l’air retouché par Scriabine et c’est la fin du concert. Mais pas de la musique, car elle continue de résonner longtemps après. u
Jérémie Bigorie et Olivier Bellamy