En ouverture du Festival de Munich, la direction musicale de Vladimir Jurowski impose la nouvelle production excellente des Diables de Loudun. Simon Stone remet en lumière cette œuvre, plaidoyer pour la séparation de l’Église et de l’État. Le jeu d’acteurs est immense et intense ; Aušrinė Stundytė, Wolfgang Koch et Martin Winkler enflamment la scène. Une réussite absolue !

Le Festival de Munich concluant la première saison de la direction de Serge Dorny à la Staatsoper s’est ouvert avec une nouvelle production de Die Teufel von Loudun (Les Diables de Loudun), l’opéra de Krzysztof Penderecki, d’après la transposition théâtrale d’une nouvelle d’Aldous Huxley, qui avait aussi inspiré à la même époque le film The Devils à Ken Russell. Une réussite absolue qui ouvre la voie à une ré-estimation d’une œuvre créée à Hambourg en 1969, et très peu jouée depuis, alors qu’elle interroge sur les liens entre la pseudo possession diabolique d’une communauté d’Ursulines et les compromissions des autorités politiques s’affrontant sur la démolition des murailles de la petite cité de la Vienne exigée par Richelieu en 1634.

La production, très réussie, de Simon Stone transpose l’action dans un aujourd’hui dominé par l’architecture puissante et froide d’un cube de pierre pivotant percé d’escaliers et de chapelles, partagés entre la communauté religieuse en crise et la population normale d’une cité invisible, mais secouée par les rumeurs et un faux-procès en diablerie, trouvant comme victime expiatoire Urbain Grandier, un curé trop voyant et rebelle, qui finit sur le bûcher. Comment ne pas penser à une certaine Amérique avec ces séances d’hystérie collective, de tortures sanglantes et de lapidation morale qui finissent par une exécution dans un crématoire sinistre ?

Crédit photo : Wilfried Hösl

Le jeu d’acteurs est intense, d’autant qu’avec la prieure Jeanne, Aušrinė Stundytė, abonnée aux grandes hystériques du répertoire (la Renata de Prokofiev, l’Elektra de Strauss…) installe le feu sur scène, qu’elle partage en intensité vocale avec Wolfgang Koch, Grandier souverain qui passera de la sensualité immorale et hautaine à l’introspection la plus rigide face à la mort, et Martin Winkler, campant un exorciste aussi impuissant que servile, entourés de la troupe toujours majuscule du Staatsoper.

Mais au-delà des images fortes, et d’un chant somptueux, c’est plus encore la direction musicale de Vladimir Jurowski, le nouveau directeur musical de l’Opéra de Munich, qui impose l’œuvre, décriée en son temps par la critique comme académique et hétéroclite, et boudée par le public. Tapis permanent de cordes glissantes, insidieux, troublant d’instabilité mystérieuse, tutti et clusters majuscules, chromatisme invoquant la tradition post-romantique comme les apports d’un sérialisme non dogmatique, écriture vocale puissante, mais toujours intelligible, Les Diables de Loudun, portrait à charge d’un triste moment de notre histoire, et plaidoyer pour la prise de conscience religieuse, et la séparation de l’Église et de l’État, reste assurément un chef-d’œuvre du XXe siècle, et un point vernal du parcours créatif de son auteur.