L’écriture de Lera Auerbach, d’une grande richesse, se nourrit de multiples influences. On frôle parfois la musique atonale, mais la compositrice maintient toujours une forme de hiérarchie et des repères. En contraste total, on est surpris par des passages psalmodiques ou par des usages de quintes parallèles. L’Amen final emporte totalement le morceau, le premier motif au saxophone permettant de boucler la boucle en reprenant celui du premier Ange. Jusqu’au bout, la compositrice refuse de se poser et joue sur l’ambiguïté entre obscurité et lumière. Dès qu’un accord parfait majeur arrive, il est aussitôt effacé par d’autres voix, et même l’ultime résolution, qui s’efface dans un long et progressif decrescendo, est contrariée par un trille. Comme un parfum d’inachevé.
Le Quatuor confirme ce que Lera Auerbach en dit dans le livret: le son est « sans limites » et il « se mêle parfaitement au chœur ». Le mélange opère si bien qu’il est parfois difficile de déterminer si les musiciens jouent! Quant au Chœur de chambre des Pays-Bas, virtuose, il répond avec une aisance et une immense musicalité aux exigences de la compositrice : glissandos en sons droits, notes presque criées, decrescendos infinis, quarts de ton, bruits de foule… Toutes les voix solistes sont belles et rondes, mais le Chœur reste homogène dans les passages d’ensemble. Il faut écouter les treize pistes sans pause, telles qu’elles ont été conçues : vous serez transporté dans de hautes sphères musicales.

Lera Auerbach
72 Angels
Quatuor de saxophones Raschèr,
Chœur de chambre des Pays-Bas,
dir. Peter Dijkstra
Alpha 593. 2019. 1h24