Stockhausen examine le monde et se livre lui-même dans ce Licht, oeuvre totale à l’extravagance maîtrisée. Au sein de sa stupéfiante cosmogonie, il est la figure de Michael, ici en lutte contre Lucifer. Fascinant.
Cycle gigantesque, Licht est le grand œuvre de Stockhausen subdivisé en sept opéras représentant chaque jour de la semaine. Troisième jour créé par Le Balcon sous la direction enthousiaste de Maxime Pascal, Dienstag aus Licht (Mardi de lumière) présente un combat fratricide entre Michael – l’ange Michel terrassant le dragon – et Lucifer, dans une mise en scène ritualisée par Damien Bigourdan.
Michael, le convaincant ténor Hubert Mayer, et son double trompettiste, l’impressionnant Henri Deléger, défendent l’inscription des hommes dans le temps. Lucifer, la basse Damien Pass plus grand que nature, et son alter ego tromboniste Mathieu Adam, souhaitent la plénitude intemporelle de l’éternité. S’ensuit une Course des années interrompue par la soprano Elise Chauvin en Ève médiatrice, sur un subtil enchevêtrement instrumental inspiré du gagaku dont un raffiné solo de piccolo associé à cette compétition des temps qui passent. Le second acte commence par une spectaculaire partie électronique mettant en scène le combat frontal de Lucifer contre Michael. Les
« grenades sonores » accompagnées par les vidéos déferlantes de Nieto transposent avec fureur l’apocalypse de la guerre que vécut Stockhausen sous le nazisme. Une fascinante Pietà de la soprano Léa Trommenschlager en Ève consolatrice entre en résonance mimétique avec Henri Deléger, archange au bugle modulant son trépas.

L’arrivée de la Synthi-Fou aux synthétiseurs expansifs purge le drame dans l’exubérance avant que ce combat spirituel ne s’achève par une fusion de tous les éléments dans une ultime boucle électronique s’évaporant dans un halo de mystère. Cette œuvre à l’étrangeté mémorable impressionne par la capacité de Stockhausen à créer un univers unique et cohérent dans sa folie, où fusionnent avec éclat théâtre lyrique, philosophie et expérimentations sonores. Quelques jours plus tard, Le Balcon revient à la Philharmonie, cette fois sans public, en plein confinement, avec Alexandre Tharaud très inspiré au piano. Maxime Pascal insuffle dynamisme et couleurs au Concerto n° 5 de Bach et au Concerto « Jeunehomme » de Mozart avant de libérer toute la vivacité de Kuleshov, création française débridée d’Oscar Strasnoy portée avec éclat par le pianiste